L’histoire que je vais vous raconter mérite toutes les précautions et il est de mon devoir de vous la présenter dans sa forme la plus objective et sincère, mais aussi dans sa forme la plus brutale et la plus violente. Ce n’est pas une histoire banale, ce n’est pas un récit fantastique. Tout, pourtant, laisse à penser, que le destin que je vous présente sort des carcans de notre imagination et de notre connaissance sur l’engagement et la reconnaissance pendant et après la Seconde Guerre mondiale.
Le cadre familial et géographique
Cette histoire commence dans un petit village en Alsace, en banlieue mulhousienne. Sortez-vous immédiatement les images bucoliques de maisons à colombages sur les flancs vosgiens, nous sommes ici au cœur industriel de l’Alsace, capitale de l’industrie textile du 19e siècle et de l’industrie automobile au 20e.
Cette localité, aux portes de la grande ville de Mulhouse, accueille une forte communauté juive qui compte déjà en 1660, 50 israélites. Dès le milieu du 18e, on y trouve une synagogue et après la Révolution, s’y trouve une école juive. Ils y pratiquent des métiers divers, marchands de bestiaux, boulangers, ouvriers de fabriques et font partie intégrante, comme souvent en Alsace, de la communauté villageoise.

C’est dans cette commune que nait le 14 mars 1900, Georgette Esther Bernheim. Fille de Joseph, marchand et de Reine dite Mathilde née Grumbach. Rappelons ici qu’au moment de la naissance de Georgette, l’Alsace est allemande. Les israélites, en Alsace, donnent souvent à leurs enfants, deux prénoms. L’un deux est local, le second d’origine juive. On notera toutefois qu’à une époque où les prénoms choisis pour les filles sont plutôt Magdalena, Margaretha, Bertha ou encore Martha, le prénom Georgette dénote et semble montrer un certain attachement des parents à une culture voisine. La naissance de leur deuxième fille semble démontrer cet attachement, car le couple prénomme l’enfant, Germaine Judith, elle nait en 1901. Le père, Joseph, est né à Pfastatt le 16 novembre 1856, fils de Clément et de Sara née Bernheim. La mère, Reine dite Mathilde, est née à Hattstatt, commune proche de Colmar, le 22 août 1870, fille d’Abraham, marchand de fromages et d’Henriette Wildenstein. La tombe de Joseph Bernheim se trouve au cimetière israélite de Mulhouse
et indique qu’il est décédé en 1930, à l’âge de 74 ans.

Georgette Bernheim
L’ainée se destine à la médecine. Elle étudie à Paris, en 1925 elle fait partie de l’association parisienne des étudiants d’Alsace et de Lorraine dont un journaliste souligne dans le journal « Le Matin », la grâce alsacienne. Elle est interne à Ivry en 1928 et obtient son doctorat en 1929. C’est dans le guide Rosenwald que l’on trouve la présence du docteur Georgette Bernheim, médecin généraliste à Pfastatt, elle consulte au 1, rue des Héros, domicile de ses parents. Elle ne pratique plus à Pfastatt en 1935. Elle pratique ensuite à Mulhouse en 1939. Evacuée d’Alsace avec sa mère à la déclaration de guerre, elle se réfugie à Poitiers, où très rapidement, elle devient médecin de la police du chef-lieu de la Vienne. De plus, elle est, par la suite, chargée d’un service à l’Hôtel-Dieu de la ville. On la retrouve en 1943 dans le même guide à Poitiers. Bernheim Georgette est docteur à l’école préparatoire de médecine et de pharmacie de Poitiers. Elle y est désignée comme ex-médecin assistante à Mulhouse et comme ex-médecin assistante à la clinique infantile de Strasbourg en cardiologie pédiatrique. L’adresse de son domicile est au 47, rue Magenta à Poitiers. Elle entre en Résistance. Elle y croisera des personnages que l’histoire n’a pas oubliés.
En 1942, elle est présentée au commandant Michel, alias « Masson », fondateur du mouvement de Résistance Grenadier Mousquetaire à l’Hôtel de Paris, en face de la gare de Poitiers. Le Commandant Michel Edmond André travaille jusque fin 1942 avec 5 agents, Anne-Marguerite Pouchard-Dumilieu, Emile Nadier, Albert Sorin, Frédérique Nouvel qui faisait boite aux lettres et Georgette Bernheim donne des soins à plusieurs membres du réseau mousquetaire. Mais Georgette travaille également pour le groupement Louis Renard, qui lui aussi avait fait de l’Hôtel de Paris son point de rencontre. Elle avait des contacts avec les commissaires de police de Poitiers, Bertrand et Eprinchard, alias « Jean Chouan ». Le docteur Bernheim fournit un nombre incalculable de faux certificats pour les S.T.O. Georgette Bernheim est évaluée comme agent sûr aux services secrets.
En janvier 1944, le réseau est informé par un membre de la police de l’arrestation imminente de la famille Bernheim par la Gestapo. Raymond Guyon, fonctionnaire organise avec le Maire de Mauprevoir la cache dans cette commune située en zone libre. Mises en possessions de fausses cartes d’identité et de feuilles d’alimentations, Georgette Bernheim devient Bertheau Gaby, réfugiée du Nord.
Georgette n’est pas sensible à l’héritage religieux. Si sa mère, Mathilde, reste très attachée à la religion et continue de participer à la vie communautaire, il en va tout autre pour Georgette. Elle en est si détachée qu’elle va même décider de se convertir au catholicisme. Cette décision, va entrainer, indirectement, des conséquences majeures sur la vie et le destin de Georgette mais également de sa famille. Pourquoi a-t-elle choisi de se convertir, par conviction religieuse ou dans l’intention de se préserver de l’antisémitisme ? Si nous n’avons pas la réponse, cette question est au cœur des relations de la famille avec un personnage important de l’histoire des sœurs Bernheim, le rabbin Elie Bloch.
Le rabbin Elie Bloch
Elie Bloch, alsacien de naissance, comme les Bernheim, est évacué de Moselle lors de la déclaration de guerre de 1939 et réfugié à Poitiers où il devient aumônier des Juifs évacués. Après l’invasion allemande de mai-juin 1940, Poitiers et Angoulême sont occupées et la majorité de Juifs mosellans et alsaciens s’y retrouve piégés. Désormais, Elie Bloch va représenter les communautés transplantées et les défendre face aux mesures d’exclusion mise en œuvre par l’occupant et le gouvernement collaborationniste de Vichy.
Le 15 juillet 1941, alors qu’il met tout en œuvre pour donner un semblant de normalité à la vie des Juifs dans la Vienne, une grande rafle est organisée par le préfet de région. 152 juifs de la Vienne sont pris et internés dans le camp de la route de Limoges à Poitiers, appelé « camp de concentration des Nomades », A la fin du mois de juillet, 350 juifs y sont recensés, parmi lesquels de nombreux enfants. Le 24 novembre 1941, 66 enfants de moins de 14 ans sont autorisés à quitter le camp, grâce à l’intervention du rabbin. Il accepte également la charge de l’UGIF pour la région de Poitiers et confectionne des colis pour les internés de son secteur.
Le réseau de solidarité mis en œuvre par Elie Bloch passe rapidement au réseau de résistance. Elie Bloch et le père Jean Fleury, l’aumônier des Tsiganes font franchir la ligne de démarcation à de nombreux fugitifs. Des adultes et enfants sont cachés dans les campagnes poitevines et le prêtre catholique qui dispose de contacts à la préfecture, organise un réseau infiltré qui prévient des arrestations futures. Germaine et Georgette vont y jouer un rôle majeur.
L’activité d’Elie Bloch dérange le responsable de la Gestapo de Poitiers, le SS Hipp. Le 22 janvier 1943, Georgette l’épouse du rabbin, est arrêtée et internée dans le camp de la route de Limoges. Le 11 février, Elie Bloch est à son tour arrêté avec sa fille Myriam alors âgée de 5 ans. Le 17 décembre 1943, avec de nombreux responsables de l’UGIF, Elie et sa famille sont déportés vers Auschwitz, on les assassine dès leur arrivée.

L’arrestation du rabbin Elie Bloch et de sa famille sème le trouble et la désorganisation au sein de l’UGIF et du réseau de résistance du père Fleury. Par manque d’informations et dans le contexte de l’année 1944, les sœurs Bernheim vont faire l’objet, comme il a souvent été le cas dans le cadre de la période d’épuration lors de la Libération, d’accusations calomnieuses qui vont faire peser sur elles des suspicions injustes. Mais avant de revenir sur cette période douloureuse, il faut nous intéresser à la plus jeune des sœurs, Germaine.
Germaine Bernheim
A peine séparée d’une année, les sœurs, Germaine et Georgette, semblent être proches. Si l’aînée, Georgette, part faire des études de médecine à Paris, il n’est pas étonnant de retrouver Germaine également en région parisienne dès les années 1925 pour y apprendre le métier d’assistante sociale. En 1927, un article paru dans la revue La prophylaxie mentale signale par le Dr. Targouwla et Melle Germaine Bernheim, la création d’un service social à l’Hôpital psychiatrique Henri Rousselle. Son rôle d’assistante sociale à Paris est pris très au sérieux et sa notoriété est mise en avant par Madame Hérold, officier de la Légion d’Honneur qui déclare en 1932 dans le « Paris-Midi » que le dispensaire aux blessés nerveux de la guerre et aux enfants instables situé à Paris, avenue de Saint-Ouen possède un service d’assistance sociale qui fonctionne grâce au concours dévoué de Melle Germaine Bernheim. Plus tard, en 1933, Germaine Bernheim est assistante sociale de 3e classe à l’hôpital départemental Henri-Rousselle, hôpital psychiatrique. Le journal « Les Dimanches de la femme », supplément de la « Mode du Jour », déclare que Germaine Bernheim est l’une de nos assistantes sociales des plus éminentes, lorsqu’elle mène et publie une enquête sur les femmes dans l’administration policière paru dans le « Mercure de France ». Enfin, en 1934, le magazine « Hygiène mentale » publie ses travaux sur la police féminine et son rôle social en faisant une étude comparée entre la France, la Suisse et l’Allemagne. Dans le bulletin municipal officiel de la ville de Paris du 27 novembre 1934, il est question de la création à titre expérimental, d’une brigade de police féminine. Le rapporteur, Armand Massard, fait état d’études extrêmement intéressantes et poussées, rédigées par une assistante sociale qui consacre son dévouement plus spécialement à la psychiatrie. Enfin, en 1939, Georges Loinger la cite comme chef des œuvres sociales de la Baronne Germaine de Rothschild.
Mais la guerre fait irruption dans la vie de Germaine et elle décide de quitter Paris pour rejoindre sa sœur Georgette et sa mère, évacuées à Poitiers, nous sommes en 1943, elle devient assistante sociale de la Police de Poitiers. Dès qu’elle est à Poitiers et avec l’aide de sa sœur Georgette, elle entre en Résistance. Ses fonctions d’assistante sociale et les liens que sa mère entretient avec la communauté israélite de Poitiers, l’a font également se rapprocher des internés du camp de la route de Limoges où elle rencontre le rabbin Elie Bloch et le père Fleury.
Avant l’arrestation
Les sœurs Bernheim sont très actives dans la région de Poitiers dès 1943. Georgette Bernheim est le médecin des maquis de la région. La Gestapo surveille les deux sœurs et la mère, mais va prévoir l’arrestation des trois femmes à cause de leur statut de juives, la rafle est prévue au courant du mois de décembre 1943. Un traducteur de la Gestapo, membre de la Résistance, réussit à intercepter le projet et prévient la famille Bernheim. Germaine dira après la guerre que l’homme qui les a sauvées à ce moment-là se nommait Aubertin. Elles se réfugient à Mauprévoir où elles sont mises à l’abri par le maire. Georgette et Germaine reprennent immédiatement du service auprès du maquis de la Vienne. Elles sont sous les ordres de plusieurs grands noms de la Résistance. Le Colonel Félix Chene, également connu sous le nom de Bernard, colonel de l’Armée secrète (AS) et commandant de la région FFI (Forces Françaises de l’Intérieur) B2. Dans ces rôles, il a dirigé des opérations de résistance contre les forces d’occupation nazies et a joué un rôle crucial dans la coordination et l’organisation des groupes de résistance dans sa région. Sa contribution a été déterminante dans la lutte pour la libération de la France durant la Seconde Guerre mondiale. Dans un courrier du 3 mars 1952, il écrit à Germaine qu’il estime que la mémoire de Georgette mérite bien d’être honorée. L’autre chef, d’un réseau plus autonome, est Georges Guingouin né en 1913, instituteur avant de devenir un résistant actif. Il a dirigé le maquis dans le secteur du Limousin, notamment dans la région B2, comme le Colonel Félix Chene. Souvent surnommé le « Préfet du Maquis, » il a commencé ses activités de résistance très tôt, dès 1940, en distribuant des tracts anti-nazis. Rapidement, il a organisé et dirigé des groupes de maquisards, menant des actions de sabotage, des embuscades contre les forces allemandes, et des opérations de soutien aux Alliés. Son groupe a été particulièrement actif et efficace, causant des perturbations significatives aux opérations allemandes dans la région. Sous le nom de Colonel Blondel, il a su fédérer les résistants et maintenir un haut niveau de discipline et d’organisation au sein du maquis. Alors que Georgette soigne les blessés du maquis et organise l’approvisionnement du nécessaire médical, Germaine est agent de liaison. Un dénommé Bercy de Jaunay-Clan collabore avec l’ennemi et est sur les traces de Blondel et il réussit à obtenir des informations auprès de la fille du maire de Mauprévoir. C’est ainsi que le 28 avril 1944, la Gestapo organise une rafle dans le village de Mauprévoir et arrête le maire et sa fille, la mère et les deux filles Bernheim et ils sont dirigés vers la prison Pierre-Levée de Poitiers.

Le calvaire et la séparation
Reine dite Mathilde Bernheim née Grumbach, la maman de Georgette et Germaine est arrêtée avec ses filles. Elle est internée à Poitiers à la prison de la Pierre-Levée et rapidement transférée vers le camp de Drancy en date du 6 mai 1944. Elle reçoit le matricule 21.235 et est déportée par le convoi n° 74 du 20 mai 1944 en direction du camp d’extermination d’Auschwitz (Pologne), où elle est gazée dès son arrivée le 25 mai 1944, elle avait 70 ans. Alors que la mère est envoyée à Drancy pour être déportée, Germaine et Georgette restent à Poitiers pour subir les interrogatoires de la Gestapo qui est toujours en quête du démantèlement du réseau Blondel. Cachées sous une fausse identité avec pour nom de famille Bertheau, on ne connait que le faux prénom de Georgette, elle s’appelle Gaby. Les filles Bernheim restent jusqu’à la fin du mois de juin 1944 à la prison de la Pierre-Levée avant d’être transférées au camp de la route de Limoges. C’est là qu’elles retrouvent l’abbé Fleury qui témoigne en 1950 de leur arrivée au camp. « Dès son arrivée au camp, Melle Georgette Bernheim qui était malade (elle avait maigri de douze kilos en trois semaines, à la suite d’interrogatoires répétés de jour et de nuit). […] elles avaient subi un interrogatoire serré […]. Il s’agit d’une série de questions posées, […], elles concernaient un certain Blondel, chef du maquis, avec qui elles avaient été en relations. Elle avait répondu que ce nom lui était inconnu. » Fleury raconte encore qu’elle avait réussi à soustraire pendant son interrogatoire, des pièces à convictions concernant Blondel évitant ainsi l’arrestation du chef de maquis. Malgré sa maladie et son état de santé, Georgette continue son œuvre médicale dans le camp de la route de Limoges. Son état de santé s’aggravant, Fleury fait évacuer Georgette à l’Hôtel-Dieu de Poitiers au début du mois d’août 1944.
Germaine, elle, est sollicitée par Fleury, le docteur Wolfsohn de Levallois-Perret, interné au camp et Bazin, le directeur du camp, pour devenir l’interprète de l’agent de la Gestapo, Wilhelm Hipp, quarante-cinq ans, chargé des affaires juives du camp. Le rôle principal d’Hipp était de traquer, arrêter, et déporter les Juifs. Sous sa direction, de nombreuses rafles ont été organisées, et de nombreux Juifs de Poitiers et des environs ont été envoyés vers les camps de concentration et d’extermination. Hipp, avec son équipe, utilisait des méthodes brutales pour extorquer des informations et localiser les Juifs cachés. A la prison de la Pierre-Levée se trouve une salle d’interrogatoire et de torture et la section antijuive commandée par Hipp. Malgré ses réticences, elle entre à son service et transmet à Fleury des informations capitales sur les opérations de la Gestapo contre le maquis de la Vienne. Fleury raconte comment les informations fournies par Germain ont permis de faire échouer deux expéditions de la Gestapo contre la ville de Chauvigny. Une première fois, la Résistance réussit à attirer les Allemands dans un guet-apens dans la vallée du Pontereau entre Chauvigny et Saint-Savin où elle inflige de lourdes pertes aux allemands, près de cinquante hommes tués. Puis le 30 juillet, toujours grâce aux informations fournies par Germaine, une colonne allemande est déviée et ne peut opérer sa jonction avec un groupe de miliciens faisant capoter l’opération prévue aussi à Chauvigny.
Evasion et libération
Alors que Georgette est hospitalisée à l’Hôtel-Dieu de Poitiers, le chef du Maquis Maurice, secteur 16, Maurice Bache, décide d’organiser son évasion. Il charge son officier de liaison, Flic I, (André Garnier) de mettre tout en œuvre pour la libérer et l’amener au maquis de Sanxay (Vienne). Il réussit son opération le 18 août 1944 et Georgette continue dès lors au sein du groupe Maurice, son activité de résistante. Elle est particulièrement appréciée pour les soins compétents qu’elle donne aux blessés et aux malades du maquis. Son chef dira d’elle que « malgré les difficultés de communication, elle put faire les acquisitions nécessaires pour une petite pharmacie. Elle se dévoua inlassablement et malgré son état de santé défaillant, n’abandonnant jamais son poste ». Georgette reste au maquis jusqu’à la libération de Poitiers le 15 septembre 1944. Georgette retrouve son domicile, au 47 rue Magenta à Poitiers. Mais son état de santé se dégrade et elle ne se remet pas des tortures infligées lors des interrogatoires subis à la Pierre-Levée. Elle décède le 7 février 1945 à 12h20 à l’âge de 44 ans des suites de la maladie contractée en prison.
Germaine, elle, retourne s’installer à Paris, 1ter rue de Navarre dans le 5e arrondissement. C’est elle qui fera toutes les démarches administratives pour faire reconnaitre le sacrifice de ses êtres aimés. Pour sa mère, elle demande et obtient le statut de déporté politique en 1955 et la mention Mort pour la France également en 1955. Reine Bernheim, veuve de Joseph Bernheim, reçoit la mention Mort en Déportation en 2007. Germaine revendique pour sa sœur Georgette, le titre d’interné résistant. Malgré les nombreux témoignages des chefs du maquis et de l’abbé Fleury, la commission départementale de la Vienne dans sa séance du 24 mars 1955 émet un avis défavorable à la demande de Germaine et rejette cette dernière, considérant que l’arrestation de Georgette était la conséquence de son appartenance à la « race juive » et non pour ses actes de résistance.
En consultant les archives privées du Colonel Blondel on constate qu’après la guerre, la question n’est pas tranchée. La question, en 1961, était de savoir si les sœurs Bernheim avaient été arrêtées en raison de leur qualité d’Israélites, ou en raison de leurs relations avec les maquisards. Dans sa lettre de janvier 1951, Germaine Bernheim, seule survivante (sa sœur étant morte en février 1945) soutenait que c’étaient pour la seconde raison, ce qui lui permettrait d’être reconnue, ainsi que sa sœur, comme «internée-résistante». Quant au colonel Blondel, il écrit : « Il est exact que les sœurs Bernheim se soient refugiées à Mauprévoir au début de 1944. Elles furent logées par les soins du maire, à l’époque Monsieur Flamant. Encore aujourd’hui, je ne sais que penser des sœurs Bernheim. Etaient-elles résistantes, travaillaient-elles pour le compte de la Gestapo ? Je ne saurais le dire et le préciser. Il est exact que j’ai pris personnellement contact avec elles, à diverses reprises, à Mauprévoir. J’ai toujours été intrigué par l’intérêt qu’elles portaient à nos maquis et aux FFI de la Vienne en général, c’est dire avec quelle prudence de ma part se faisaient ces contacts. Il ne m’est donc pas possible de déclarer que les sœurs Bernheim aient été arrêtées parce qu’elles avaient eu des contacts avec les formations de la résistance de la Vienne. Je pense que les Allemands les auraient maltraitées plus inhumainement encore qu’ils ne l’ont fait, heureusement d’ailleurs.» (minute de lettre, 24 janvier 1961). Pourtant en 1952, le colonel Chene écrivait à Germaine qui lui demandait des attestations pour obtenir le statut d’internée-résistante : « J’ai bien reçu votre lettre du 25 février. Je suis heureux de vous savoir survivante des coups lourds effectués dans la Vienne par la Gestapo et je déplore la disparition cruelle des êtres qui vous étaient chers. Je me souviens très bien aussi de votre sœur, le docteur Georgette Bernheim. Je vous enverrais bien le certificat demandé, car j’estime comme vous que le souvenir de votre sœur mérite d’être honoré. Cependant le travail effectué dans la Résistance par votre famille était à cheval d’une part sur Poitiers et d’autre part sur l’organisation un peu autonome de Blondel. De de fait, je manque d’éléments pour faire un certificat très circonstancié qui aurait toute la valeur nécessaire. Voici ce que je vous propose, écrivez à Blondel et au Maire de Mauprévoir qui vous ont bien connu, de même que moi, afin qu’il me donne les précisions suffisantes et qu’ils établissent des certificats et je m’occuperai d’y ajouter mon avis, afin qu’ils puissent présenter tous les caractères d’une authenticité indiscutable. Je vous prie d’agréer Madame, mes hommages respectueux et l’expression de mon parfait souvenir ». Germaine n’obtiendra jamais les certificats de Blondel et ne fera pas appel de la décision de rejet du statut d’interné résistant pour sa sœur.
En 1954, la gendarmerie nationale enquête dans le cadre de la demande du statut d’interné-résistante de Germaine afin de connaitre les motifs et les circonstances de l’arrestation des Bernheim. Les gendarmes interrogent Daniel Flament, le maire de l’époque. Il déclare avoir bien connu la famille Bernheim, une famille de juifs. Il déclare qu’elles se cachaient sous une fausse identité dans sa commune et qu’il leur avait donné un refuge au bourg de Mauprévoir. Il déclare que la famille y est restée quatre ou cinq mois. Il déclare que le 28 avril 1944, il est arrêté avec sa fille pour avoir soi-disant délivré des fausses cartes d’identité et d’alimentation, mais qu’il fut rapidement libéré. La Gestapo venue les arrêter ce jour-là, arrête la famille Bernheim. Il termine sa déclaration en déclarant qu’à son avis, le motif de leur arrestation est dû à leur descendance juive. Cette déclaration scelle définitivement le sort de la demande de Germaine pour son statut. Edith Gremilllon née Tusseau, institutrice à la retraite déclare aux gendarmes qu’elle connaissait la famille Bernheim, que cette famille était juive et qu’elle vivait sous un faux nom et que le motif de leur arrestation est dû, parce qu’elles étaient de descendance juive ».
Rien, aujourd’hui, ne rappelle la mémoire de Georgette et Germaine Bernheim à Poitiers, à Pfastatt ou ailleurs en France. Le projet Stolpersteine a été approuvé par la mairie de Poitiers pour 2025 et nous ne manquerons pas d’honorer la mémoire des Bernheim dans les rues de la ville.

Christophe Woehrle 2024 ©