Mais qui est Wietila Draganir ?

Sa tombe dans la nĂ©cropole de Haguenau indique : Wietila Draganir – dĂ©cĂ©dĂ© le 8 juin 1917 – 7e RĂ©giment d’infanterie.

Si on trouve bien de multiples variantes de patronymes roumains avec la racine Draga, celle de Draganir reste introuvable !
Pareil pour le prénom Wietila introuvable dans les listes de prénoms usuels roumains.

En fouillant l’Ă©tat-civil de Strasbourg, Ă  la date du 5 juin 1917 on y dĂ©couvre le dĂ©cĂšs de Dragomir Wintila du 7e R.I. originaire du judet de Prahova.
Dragomir est un prénom et un patronyme roumain usuel. Il semblerait donc que ce nom soit à privilégier pour la suite de mes recherches.

Il faut Ă©videmment se rendre aux archives du CICR Ă  GenĂšve pour espĂ©rer trouver d’autres informations Ă  propos de cet (encore) inconnu !

Il y a un peu plus de 500 fiches individuelles de prisonniers de guerre roumains au nom de DRAGOMIR conservées au CICR.

PremiÚre étape, sortir celles dont le prisonnier de guerre appartient au 7e R.I. (en espérant que le régiment indiqué soit le bon)

Dragomir Stefan, soldat de la 4e Cie du 7e R.I.
Dragomir Toader caporal de la 9e Cie du 7e R.I.
Dragomir Vasile, soldat du 7e régiment de chasseurs
Dragomir Viutila, soldat de la 4e Cie du 7e R.I.

Cette derniĂšre fiche renvoie Ă  une liste d’arrivĂ©e au camp principal de Tuchola en Pologne que je consulte et qui indique qu’il est originaire de Cocorasti-Misli dans le comtĂ© de Prahova. Cette commune, en rĂ©alitĂ© Cocorăștii Mislii, se trouve en MuntĂ©nie appelĂ©e aussi la Grande Valachie, entre Danube et Carpates. Je me rappelle alors que l’acte de dĂ©cĂšs indiquait le nom de Kukureschtimisli, que je n’avais alors pas rĂ©ussi Ă  identifier. La retranscription phonĂ©tique a du bon et permet d’identifier dĂ©finitivement ce prisonnier de guerre.

Les autorités militaires allemandes ne déclarent pas ce décÚs au CICR qui ne peut donc pas en informer la famille.

Nous pouvons ainsi retracer le parcours de Dragomir Viutila.

Il est nĂ© en 1893 Ă  Cocorăștii Misli, son pĂšre se prĂ©nomme Mihai. Il a 21 ans lorsque la guerre est dĂ©clarĂ©e. Son pays entre en guerre fin 1916, il a alors 23 ans et est mobilisĂ© pour aller combattre. Le 3 dĂ©cembre 1916, il est fait prisonnier par les troupes allemandes dans la ville de Targoviste judet de Dambovita, Ă  moins d’une centaine de kilomĂštres de son domicile. EprouvĂ© par les conditions difficiles de l’hiver, Ă©puisĂ© par la lutte, s’engage pour lui et ses camarades de captivitĂ© un pĂ©riple de prĂšs de 2000 kilomĂštres qui l’emporte dans le nord de la Pologne, au camp de Tuchola qui accueille des prisonniers de guerre roumains depuis le mois de novembre. Les conditions de transport sont inhumaines, les hommes arrivent extĂ©nuĂ©s, anĂ©miĂ©s dans ce camp.
Ce n’est toutefois pas le terme du voyage, car comme le prĂ©voient les conventions, les prisonniers de guerre peuvent ĂȘtre utilisĂ©s comme main-d’oeuvre. Pour Viutila ce sera l’Alsace, la rĂ©gion de Strasbourg. 1200 kilomĂštres sĂ©parent les deux endroits. C’est fin janvier que les prisonniers de guerre roumains en provenance de Tuchola arrivent en masse en Alsace. Ils sont utilisĂ©s comme main d’oeuvre, principalement Ă  la construction des voies ferrĂ©es vers le front. L’hiver 1916-1917 est un des hivers les plus rudes qu’ait connu l’Alsace. Les Roumains, Ă©puisĂ©s, sont pour la plupart inaptes au travail et dans un Ă©tat gĂ©nĂ©ral si dĂ©plorable que la mortalitĂ© dans leurs rangs est extrĂȘmement Ă©levĂ©e entre fĂ©vrier et avril 1917.
Viutila est un homme jeune, mĂȘme pas 25 ans. Il rĂ©siste ! Toutefois il tombe malade et est envoyĂ© vers l’hĂŽpital de campagne fortifiĂ© de Strasbourg. Il y est soignĂ© mais sa vie s’arrĂȘte en Alsace en ce dĂ©but de juin 1917. Il est inhumĂ© au cimetiĂšre de garnison de Strasbourg-Cronenbourg ou il repose jusqu’en 1972. LĂ , on dĂ©cide de regrouper les Roumains dans la nĂ©cropole nationale de Haguenau dans un carrĂ© spĂ©cialement rĂ©servĂ© pour eux. Sa dĂ©pouille est exhumĂ©e et sa tombe transfĂ©rĂ©e dans le carrĂ© D rang 6 tombe 75 avec l’inscription donnĂ©e au dĂ©but de cet article.

Dans sa patrie, il est considĂ©rĂ© comme un Eroilor, un hĂ©ros ! Oui, mais un hĂ©ros inconnu
 Rien ne rappelle le sacrifice de sa jeune vie, pas mĂȘme son nom n’est correctement orthographiĂ© sur sa tombe.

Rendons son honneur Ă  ce jeune soldat, mort dans des conditions inhumaines pour une guerre dont il ne comprenait ni les enjeux ni les effets, contre un ennemi dont il ignorait la haine et l’indiffĂ©rence. Il nous appartient, sinon d’Ă©tablir la vĂ©ritĂ© historique et rendre Ă  ce jeune homme sa dignitĂ© !

Voici Ă  quoi doit ressembler l’Ă©pitaphe de sa tombe :

DRAGOMIR Viutila
Prisonnier de guerre roumain

Mort pentru patrie
1893-1917
4e Cie 7e R.I.