Robert Gougenheim â Un destin – par Christophe Woehrle (c)
Il est des moments dans la vie dâun historien qui gardent un caractĂšre tout Ă fait exceptionnel. Lorsquâils trouvent un Ă©lĂ©ment exceptionnel dans un fond dâarchives, lorsquâil dĂ©couvre une preuve pour Ă©tayer sa thĂšse, lorsquâil rencontre une personne ! Oui, lâhistorien, surtout celui qui sâintĂ©resse aux conflits contemporains, a encore la chance de rencontrer des hommes et des femmes qui ont vĂ©cus une pĂ©riode de lâhistoire et qui ouvrent leur porte et souvent leur cĆur, Ă lâhistorien. Concernant la captivitĂ© lors de la Seconde Guerre mondiale, les prisonniers de guerre sâĂ©teignent lentement et les possibilitĂ©s dâen rencontrer sont rares. Souvent trĂšs ĂągĂ©s, ils ont dĂ©jĂ fait part de leurs souvenirs et aspirent Ă la paix intĂ©rieure, dâautres nâont jamais dĂ©sirĂ© sâexprimer, prĂ©fĂ©rant garder cette pĂ©riode enfouie pour ne pas Ă©veiller dâanciennes blessures, dâautres encore estiment nâĂȘtre pas lĂ©gitimesâŠ
En 2013, jâavais eu le privilĂšge de rencontrer Maurice Santier, alors Ă lâaube de son centenaire, homme Ă lâesprit vif et ouvert, il reste Ă jamais gravĂ© dans ma mĂ©moire, il a tirĂ© sa rĂ©vĂ©rence lâan passĂ© et est parti dans la paix quâil dĂ©sirait tant. Quelle ne fut pas ma surprise lorsquâen travaillant sur le destin des prisonniers de guerre juifs lors de la Seconde Guerre mondiale, la belle-fille dâun prisonnier de guerre mâannonçait que son beau-pĂšre, ĂągĂ© de 101 ans, serait prĂȘt Ă me rencontrer pour Ă©changer ses souvenirs de la pĂ©riode. Jâai rapidement organisĂ© notre rencontre et câest donc dĂ©but dĂ©cembre que jâai rejoins le sud de la France, bravant les blocages des gilets jaunes, pour arriver dans les PyrĂ©nĂ©es-Orientales Ă la rencontre de la mĂ©moire vivante, incarnĂ©e par cet homme que jâallais rencontrer pour la premiĂšre fois.
Voici, lâhistoire de Robert Gougenheim, nĂ© le 11 janvier 1917 Ă Hombourg (Homburg en allemand, Hombursch en sarrois) ville universitaire situĂ©e dans l’est de la Sarre. Son pĂšre Salomon est Alsacien, la famille quitte lâAllemagne pour sâinstaller Ă Nancy. A lâĂąge de 13 ans, il commence Ă travailler comme apprenti chez une connaissance de son pĂšre, la boulangerie Bloch de Sarreguemines.
AppelĂ© au service militaire en 1937, il rejoint le 154e rĂ©giment dâinfanterie de forteresse Ă Bitche. Pendant la guerre, il est chargĂ© du ravitaillement des casemates en munition Ă lâaide de chenillettes au sein du 37e R.I.F.
Les ouvrages et casemates restent occupĂ©s jusqu’au 30 Juin 1940, date Ă laquelle ils reçoivent l’ordre de rendre la fortification en vertu des conditions d’armistice. Le 1er Juillet, les Ă©quipages des casemates Ouest du 154° RIF livrent leurs fortifications et se rassemblent pour un dĂ©part en captivitĂ© devant l’ouvrage du GRAND-HOHEKIRKEL dont elles dĂ©pendent tactiquement. Alors que les Alsaciens-Lorrains sont libĂ©rĂ©s vers mi-juillet 1940, les juifs Alsaciens-Lorrains sont transfĂ©rĂ©s en Allemagne.
Câest le dĂ©but de la captivitĂ© pour Robert Gougenheim. Il ne se dĂ©clare pas comme juif, bien quâil fasse partie dâun convoi rassemblant de nombreux coreligionnaires alsaciens-lorrains. Il arrive au Stalag IB de Hohenstein en Prusse-orientale.
Parmi les prisonniers qui arrivent au Stalag IB on note la prĂ©sence du Rabbin Ernest Gugenheim, qui nâest pas en lien de parentĂ© avec Robert. On note la prĂ©sence d’autres prisonniers de guerre juifs :
Eskanazi Michel de Paris, Katz Henri de Paris, Katzman Jean de Lyon, Dreyfus Yvan de Besançon, Ach Sylvain de Mackenheim, Levy Julien de Nancy, Levy Claude de Parthenay, Caron Robert de Mertzwiller, Corbeau Germain de Sundershoffen, Levy Georges de Paris 16e, Metzger Paul de Limoges, Edelsztein Maurice de Paris 20e, Weill Edgard d’Epinal, Hirschen Oscar de Saint Junien, Loeb Georges de Paris 18e, Kahn Pierre d’Osthofen, Corbeau Gaston d’Haguenau, Bloch Marcel de Limoges, Chelicevitch Szija de Paris, Ovroutski Leon de Paris, Dreyfus Pierre de Westhouse, Goltsman Robert de Paris, Rosenfeld Louis de Thiviers, Heymann Joseph d’Anglet, Dreyfus Leon de Strasbourg, Weber Ernest d’Hoenheim, Blum Pierre d’Erstein, Rotman Walter de GenĂšve, Levy Marcel de Selestat, Geismar Henri de Grussenheim, Loeb Gaston de La Walck, Chrapatyj Abraham de Strasbourg, Samuel Lazare de Phalsbourg, Zgarka Henri de Paris 12e, Echkenazi Raphael de Paris 9e, Heymann Jules de Frauenberg, Keinbourg RenĂ© de Paris 18e, Levy Henri d’Obernai, Bloch Leon d’Obernai, Frajerman Alexandre de Varsovie.
Arrivé au Stalag, il est immatriculé et reçoit le matricule de prisonnier de guerre 52880, juste aprÚs lui, avec le matricule 52922, le rabbin Gugenheim.
Tous sont transfĂ©rĂ©s le 7 mars 1941 vers le Stalag XA de Schleswig, il s’agit d’un transfert administratif, les prisonniers de guerre affectĂ©s Ă des Arbeistkommando (commandos de travail) restent chez leurs employeurs et ne se rendent pas compte du transfert.
Robert Gougenheim, par son mĂ©tier, est envoyĂ© directement au travail chez un boulanger dans les faubourgs dâHambourg, avec lequel il entretien de bonnes relations. Tous les jours, la route entre le camp et la boulangerie est faite sous la surveillance dâun garde. Depuis la boulangerie, Robert Gougenheim, voit entrer les bateaux au port. Il ne sent plus comme prisonnier, il est libre dâaller et venir dans la journĂ©e, le patron ne vient mĂȘme plus Ă la boulangerie laissant Ă Robert la charge de son entreprise. LogĂ© dans une salle de gymnastique avec ses camarades de captivitĂ©, câest le seul endroit ou il se sentait prisonnier. Il dĂ©cide de ne pas rester longtemps en Allemagne, et prĂ©pare son Ă©vasion. Il amasse de la nourriture et pendant un an et demi, il organise son retour en France libre. Sa motivation principale Ă©tait de ne pas ĂȘtre renvoyĂ© par les Allemands, ce quâil considĂ©rait comme une honte. Il a obtenu de faux papiers par lâintermĂ©diaire dâautres prisonniers de guerre. Il a perdu tout contact avec les autres prisonniers de guerre. Câest en mars 1942, muni de tous les papiers nĂ©cessaires, quâil se rend Ă la gare dâHambourg et en compagnie de deux autres Ă©vadĂ©s prend un train en direction de Chalon-sur-SaĂŽne, sur la ligne de dĂ©marcation.
Une fuite oĂč il Ă©chappe, par miracle, Ă une fouille du train, il doit se cacher sous un wagon et remonter juste au coup de sifflet du chef de gare. Il se terre aussi dans un trou au moment dâune fusillade, non loin de la ligne de dĂ©marcation. Puis, enfin, il arrive Ă la gendarmerie française oĂč il explique son pĂ©riple. « Le seul endroit quâils avaient pour mâhĂ©berger, câĂ©tait la petite cellule de la gendarmerie. Câest lĂ que jâai passĂ© mes premiĂšres nuits, on avait lâhabitude dâĂȘtre en prison !» Une fois dĂ©mobilisĂ© il rejoint ses frĂšres et sa famille Ă Limoges, il va alors partager son temps entre de nouveau un emploi de boulanger et un maquis tout proche.
Dans le maquis, sa maitrise de la langue allemande Ă©vitera bien des dĂ©boires aux habitants de la commune de Grandmont et Saint-Sylvestre en Haute-Vienne oĂč, par son audace et son altruisme, il est allĂ© au contact des officiers « boches » comme il dit, pour Ă©viter un massacre. Il aura eu raison et les allemands partirons sans faire de dĂ©gĂąts.
DĂ©corĂ© Ă plusieurs reprises, il avoue que la mĂ©daille des Ă©vadĂ©s reste sa plus grande fiertĂ©. Conscient quâen tant que juif, prisonnier de guerre Ă©vadĂ©, rĂ©sistant sa vie Ă©tait en danger, il nâa jamais eu peur, mais est bien conscient dâavoir eu « beaucoup de chance ». Il ne regrette rien.
Le souvenir reste toujours intact, aprĂšs la fin de la guerre, Robert a fait dâautres mĂ©tiers, fabricant de cirage, de savons, puis aussi de meubles, de sommiers mĂ©talliques, avec la direction dâune usine de 400 salariĂ©s.
Aujourdâhui il vit heureux dans le sud de la France entourĂ© de ceux quâil aime et qui le chĂ©rissent comme il se doit.
Merci Ă Daniele Gougenheim-Bloch dâavoir permis la rencontre avec Robert Gougenheim.