Pour lâarticle de la semaine, jâai choisi de vous montrer quelques documents exceptionnels issus des archives que jâai pu rĂ©cupĂ©rer Ă propos de la captivitĂ© des Roumains lors de la PremiĂšre Guerre mondiale. Contrairement Ă ce que de nombreux historiens ont affirmĂ© au cours du 20e siĂšcle, les Allemands nâont pas dĂ©truit leurs archives et celles-ci sont parfaitement conservĂ©es. Leur traitement est rendu difficile par lâĂ©criture utilisĂ©e par les Allemands et que lâon appelle, Ă tort, lâĂ©criture gothique. Il sâagit en fait de la Kurrentschrift, courante Ă cette Ă©poque.

kunft der Gefangenen nicht benachrichtigt
worden, wie dies sonst fĂŒher geschehen
ist. Die nötigen Schritte gegen Wieder-
holung der Unterlassung sind getan.
Gez.[eichnet] Merkel
Traduction : Le mĂ©decin chef militaire n’a pas Ă©tĂ© avisĂ© de l’arrivĂ©e des prisonniers par le haut commandement des armĂ©es comme il en Ă©tait toujours le cas. Les mesures nĂ©cessaires ont Ă©tĂ© prises afin qu’une telle situation ne puisse se reproduire. SignĂ© Merkel.
Certains documents conservĂ©s dans les archives militaires allemandes sont dâune grande importance et permettent dâapporter des Ă©lĂ©ments prĂ©cieux sur le traitement des prisonniers de guerre roumains par les autoritĂ©s mĂ©dicales et militaires en temps de guerre. Le document prĂ©sentĂ© ci-aprĂšs apporte des Ă©lĂ©ments particuliĂšrement intĂ©ressants sur diffĂ©rents aspects de la question du traitement des malades parmi les captifs roumains. En effet, on peut constater plusieurs Ă©lĂ©ments dans ce document :
1°) Les prisonniers de guerre roumains sont hospitalisĂ©s dans un hĂŽpital de forteresse (ici Ă Neuf-Brisach), cet hĂŽpital accueille Ă©galement des prisonniers dâautres nationalitĂ©s (Russes, Anglais, Français) mais aussi des soldats allemands blessĂ©s sur le front.
2°) Le soldat concernĂ© par ce document et dĂ©cĂ©dĂ© le 15 fĂ©vrier 1917 Ă 4 heures du matin, il sâagit du soldat Jon Cheliu et le document nous informe que la cause de la mort a Ă©tĂ© constatĂ©e lors dâune autopsie rĂ©alisĂ©e par le mĂ©decin chef de lâhĂŽpital et qui conclut Ă une mort par faiblesse cardiaque.
3°) Le soldat a été enterré au cimetiÚre communal de la ville de Neuf-Brisach le dimanche 18 février 1917 à 11 heures du matin.
4°) Etant donnĂ© que le soldat est de confession orthodoxe, les autoritĂ©s demandent la prĂ©sence dâun prĂȘtre catholique pour procĂ©der Ă lâinhumation.
De nombreux rapports dâautopsie sont conservĂ©s dans les fonds dâarchives militaires et permettent de dresser le bilan des causes de dĂ©cĂšs chez les prisonniers de guerre roumains.
Ce troisiĂšme document, exceptionnel par sa raretĂ©, est conservĂ© dans les archives militaires. Il montre un prisonnier de guerre roumain hospitalisĂ© dans un hĂŽpital de campagne en Alsace. Ces soldats sont en Ă©tat dâinanition, Ă©tat d’Ă©puisement de l’organisme causĂ© par le manque de nourriture. Les mĂ©decins militaires allemands constatent le fait et prennent des mesures afin dâamĂ©liorer les rations des prisonniers de guerre roumains. Malheureusement, les recommandations et les ordres donnĂ©es par les autoritĂ©s mĂ©dicales nâĂ©taient pas toujours suivit des faits par les autoritĂ©s militaires chargĂ©es de la surveillance des dĂ©tachements de travail en Alsace. Toutefois, nombreux sont les Ă©lĂ©ments conservĂ©s par les mĂ©decins, afin de documenter la situation sanitaire dramatique vĂ©cue par les captifs roumains dont ils rendent comptent aux autoritĂ©s supĂ©rieures par une correspondance trĂšs riche et conservĂ©e.
Ce diagramme mĂ©dical concerne le prisonnier de guerre Fonika Constantin, hospitalisĂ© du 11 au 29 mars 1917. On dĂ©couvre qu’il pĂšse 55 kilogrammes pour 1,60m, on indique quotidiennement sa courbe de tempĂ©rature et les pulsations cardiaques. Le traitement est Ă©galement indiquĂ© et on notera la prĂ©sence d’opium, destinĂ© Ă soulager les douleurs du patient. Ce document Ă©mane des archives de l’hĂŽpital militaire de campagne de Colmar. Les archives du CICR permettent d’identifier Constantin Fanica, soldat au 26e R.I., dĂ©cĂ©dĂ© le 29 mars 1917 Ă Colmar et enterrĂ© aujourd’hui dans la nĂ©cropole de Haguenau. Il est nĂ© en 1888 Ă Dobrineci dans le judet de Romanati, a Ă©tĂ© fait prisonnier le 13 dĂ©cembre 1916 Ă Movila-Banu.
Plus dâun siĂšcle aprĂšs les faits, les archives nous dĂ©voilent encore de nombreux Ă©lĂ©ments qui permettent aux historiens de dĂ©couvrir ce que fut la captivitĂ© lors de la PremiĂšre Guerre mondiale. Le sort des captifs sâest amĂ©liorĂ© au cours du 20e siĂšcle et des conventions signĂ©es entre les belligĂ©rants ont permis dâamĂ©liorer les conditions de captivitĂ© des prisonniers de guerre. La guerre de 1870-71 avait montrĂ© des dĂ©rives que lâon a tentĂ© de corriger en 1914-18 et pris des mesures complĂ©mentaires lors de la Seconde Guerre mondiale. Les prisonniers de guerre roumains ont subi des traitements particuliĂšrement inhumains lors de leur prĂ©sence en Alsace et en Lorraine. Toutefois les archives permettent de constater que, si les autoritĂ©s militaires transgressaient les rĂšgles et les conventions, les autoritĂ©s mĂ©dicales elles, avaient une toute autre attitude. Ceci permet de nuancer les thĂšses de certains historiens dâaprĂšs-guerre et doivent permettre dâĂ©clairer ce que fut la captivitĂ© des Roumains et des autres nationalitĂ©s lors de la PremiĂšre Guerre mondiale. Le sort des « perdants » nâa pas Ă©tĂ© au centre des recherches aprĂšs les conflits, les Ă©tats et les Ă©lites prĂ©fĂ©rant se concentrer sur les « hĂ©ros » et sur le sentiment nationaliste. Ce nâest que vers la fin du 20e siĂšcle que lâhistoriographie commence Ă se pencher sur cette catĂ©gorie de victimes des conflits contemporains. Leur histoire reste Ă dĂ©couvrir et Ă analyser, leur sort doit ĂȘtre Ă©tudier et nous devons rendre hommage Ă ces victimes tombĂ©s dans lâoubli.
Christophe Woehrle 2021 ©