Michael Friedrichs-Friedländer

Article fort intéressant sur celui qui « façonne » les Stolpersteine
Der Tagesspiegel – 01.06.2018 22:47 (traduction: Christophe Woehrle)
« Il m’arrive souvent de contenir mes larmes »
Le sculpteur Michael Friedrichs-Friedländer façonne les pierres du souvenir, appelées Stolperstein. Ce n’est pas qu’une épreuve physique. Article de Judith Langowski

Michael Friedrichs-Friedländer dans son atelier de Französisch-Buchholz à Berlin. Photo: Kitty Kleist-Heinrich

Si Michael Friedrichs-Friedländer devait mimer son métier, voici comment il s’y prendrait : Dans la main gauche il tient un poinçon en métal d’une longueur de huit centimètres tout en laissant pendre son avant-bras. La main droite se saisit d’un marteau de 800 grammes qu’il ajuste sur la tige de métal. D’un coup sec le marteau tombe sur la partie plate du poinçon, il pose son marteau sur un rail métallique et s’empare de sa main gauche du poinçon suivant.

Peu de gens seraient capables de dire ce que l’homme âgé de 68 ans fabrique, mais le sculpteur aux cheveux roux et trois anneaux dans l’oreille en produit une douzaine quotidiennement. Dans un rythme soutenu, il estampille lettre par lettres de quatre, huit ou douze millimètres, une plaque de laiton soutenue par un rail métallique. La lettre « I » sera suivie au rythme du marteau de « CI VIVAIT ». En dessous le prénom et le nom de la personne que l’on commémore. « Déporté », « Assassiné », « Fuite dans la mort », parmi d’autres raisons. Puis vient la date, située entre 1933 et 1945. Michael Friedrichs-Friedländer façonne des Stolpersteins.

Depuis 13 années il travaille avec l’artiste Gunter Demnig, celui qui a créée les Stolpersteins. Chaque pavé mémoriel rappelle le destin d’une personne devant son dernier domicile avant qu’elle ne fut expulsée ou déportée par les nazis.

Demnig a produit au début lui-même ses plaques de laiton de 10X10 qu’il fixait sur des pavés de béton. Mais il se consacre maintenant à la pose et a confié la production à Michael Friedrichs-Friedländer. Dans son atelier, il en a déjà produit plus de 60.000.

Michael Friedrichs-Friedländer produit les Stolperstein pour l’artiste Gunter Demnig. Photo: Kitty Kleist-Heinrich

Alors qu’un membre de l’initiative Stolperstein de Charlottenburg lui demandait en 2005 s’il ne voulait pas aider Gunter Demnig dans la production de Stolpersteins, il répondit qu’il ne voulait pas faire de plagiat. Pourtant Demnig, originaire de Cologne, ne suivait plus tant son initiative rencontrait du succès et devait faire face aux demandes croissantes de privés qui le priaient de venir poser des Stolpersteins devant leur maison dans toute l’Allemagne là où des personnes déportées avaient vécu.

Demnig vient rendre visite au sculpteur et comme le raconte Michael Friedrichs-Friedländer: « Après cinq minutes de discussion, le courant passait bien entre nous ». Les deux caractères se complètent: Demnig, l’artiste, présente son projet à travers le monde, pose 200 jours par an des Stolpersteins et emploie maintenant neuf collaborateurs.

Michael Friedrichs-Friedländer lui, préfère rester en Jeans et t-shirt dans son atelier avec ses deux ouvriers qui l’assiste. Six jours par semaine il poinçonne, jusqu’à dix heures par jour. Dans l’année, il s’octroie deux semaines de congés. Il apprécie son travail de l’ombre. Le projet appartient au final à Demnig.

Une seule fois depuis qu’ils se connaissent, il l’a remplacé lors d’une pose, en plus devant un parterre de personnalités. La pierre étant posée pour une connaissance de Sigmar Gabriel, l’ancien ministre des Affaires étrangères qui était présent : »La rue fut fermée au public et il était accompagné des ses gardes-du-corps », raconte Michael Friedrichs-Friedländer et ce tumulte autour de l’homme politique ne lui a pas laissé un souvenir mémorable.

Les Stolpersteins sur l’atelier – Photo: Kitty Kleist-Heinrich

L’atelier c’est son monde à lui: bien outillé, des tasses à café sur une table, du tabac, des cendriers et des livres. Au milieu de la pièce les pièces terminées s’entassent et attendent leur expédition. Alors qu’il accepta de produire les Stolpersteins, il y 13 ans, ce mécanicien-machiniste de métier savait qu’il n’allait pas utiliser les mêmes procédés de fabrication que Demnig. Il utilise un béton plus dur que l’artiste et surtout, il s’est fabriqué ses propres outils: il se fabrique un gabarit dans lequel la plaque de laiton se pose parfaitement et il peut alors poinçonner les lettres de 14 pièces sur le même gabarit, un gain de temps.

Le procédé de fabrication, il l’a amélioré et adapté: après avoir poinçonné le texte dans le métal, un ouvrier le façonne pour qu’il obtienne sa forme carrée, il coupe deux pattes qu’il tord en arrière afin de les sceller dans le béton.

Le troisième, pose alors les plaques préparées à l’envers dans un moule ou 14 pièces se juxtaposent. Puis il rempli le moule de béton qui durcira toute la nuit. Les pavés terminés sont emballés et envoyés chez Gunter Demnig à Cologne: 18 par paquet pour un poids de 40 kilogrammes.

Chaque nom est lié à un destin

Après une journée de travail Michael Friedrichs-Friedländer a besoin de souffler un peu dans son atelier, les ouvriers eux partent en début d’après-midi. « Il m’arrive souvent de contenir mes larmes », dit-il. Car chaque nom qu’il grave correspond à un terrible destin. Ces histoires il veut les laisser à l’atelier et pas les ramener chez lui ou il vit avec son épouse, elle aussi artiste.

Mais certains jours sont parfois plus difficiles que d’autres. « Lorsque je grave des plaques pour un orphelinat: le nom de 30 enfants, déportés le même jour ». Après de telles journées, il préfère passer d’abord au magasin pour faire ses courses et rentrer plus tard avec d’autres pensées.

60.000 pavés, 60.000 destins et ce n’est qu’une infime partie des victimes du national-socialisme. Et Michael Friedrichs-Friedländer n’a pas l’intention de s’arrêter. « Je n’arrêterai que le jour ou je graverai des plaques sans rien ressentir ». Quelque part, comme Gunter Demnig, il se sent de la génération de ceux qui n’obtiennent pas de réponse à ce qui s’est passé.

Depuis l’âge de 17 ans il s’intéresse à l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Son nom composé Friedrichs-Friedländer est un signe des questions sans réponses de l’histoire de sa famille: son propre grand-père, qui aurait été musicien et juif à Breslau, aurait ajouter le patronyme Friedrichs au sien pour que ça sonne plus allemand et ainsi attirer moins l’attention.

Son père, lui aussi artiste, était chanteur à l’opéra Kroll de Berlin jusqu’à ce que les nazi ferment l’établissement. Ses enfants ont appris bien après sa mort qu’il n’avait pas obtenu la qualité d’Aryen. Mais malgré ses origines, il a survécu à la guerre.

Michael est né à Munich mais c’est à Berlin qu’il se sent chez lui où il vit depuis qu’il a 28 ans. Il vivait dans un squat et aidait des sculpteurs. C’est la qu’il a développé son propre style, qu’il développe son intérêt pour le métal et autres matériaux: il expérimente les fusions avec le verre. Les œuvres d’art sont entreposées au fond de l’atelier, mais maintenant il n’a plus le temps pour la création.

Depuis c’est dans 20 langues qu’il sait écrire les mots « Ici vivait », « déporté » ou encore « assassiné ». Il se réjouit de recevoir la visite de classes et auxquelles il peut expliquer son rôle et son métier. Puis les élèves se penchent sur le pavés et lisent les inscriptions. L’expression des visages montrent que les enfants comprennent ce qu’il s’est passé.

En savoir plus sur les Stolpersteins.

http://www.stolpersteine.eu/en/

Parfois il reçoit aussi la visite de parents de déportés, bien que la plupart s’étaient juré de ne plus jamais remettre les pieds en Allemagne. Mais pour la pose d’un pavé, ils viennent du monde entier. Michael Friedrichs-Friedländer répond à leurs questions et les visiteurs aux siennes. « Un jour, une femme est venue me rendre visite à l’atelier, elle était venue honorer la mémoire des siens à Berlin. » Elle aussi portait le nom de Friedländer. Quelques-uns de ses proches avaient échappé à la mort parce qu’ils s’étaient cachés sous un faux nom : Friedrichs.