Marian Kolodzieja 1921-2009

À la découverte d’un artiste méconnu
Né le 6 décembre 1921 à Raszkow en Pologne, il est âgé de 18 ans lorsque la guerre éclate. Alors qu’il est scout, il décide de rejoindre la résistance armée et se bat pour une Pologne libre. Avec son ami Marian Kajdasz, il tente à plusieurs reprises de traverser la frontière pour rejoindre l’armée polonaise en France. Le 14 mai 1940, il est arrêté par la Gestapo à Cracovie et enfermé à la prison de Montelupich puis dans celle de Tarnow.

Le 14 juin 1940 il arrive à Auschwitz avec le premier transport de prisonniers et reçoit le numéro 432. Il est affecté dans divers commandos de travail: démolisseurs, carrières, voiries, atelier de construction. Il est transféré malade vers le camp externe de Blechhammer où il recopie clandestinement les plans des usines d’armement pour la résistance. Il fut condamné à mort, renvoyé au camp d’Auschwitz et enfermé dans une cellule du bloc 11. Il a survécu jusqu’à fin 1944 dans le camp d’Auschwitz. Dans le cadre des évacuations il fut transféré à Groß Rosen puis à Buchenwald. En février 1945 il arrive à Mauthausen et fut libéré le 6 mai 1945 par la 3e armée du général Patton.

Après son retour en Pologne il reprend des études à l’académie d’art de Cracovie au sein de la faculté des beaux-arts où il suivait les cours du Professeur Frycz. Il termine ses études en 1955. Il se spécialise dans l’art scénique. Il déménage à Danzig, dans le nord de la Pologne et travaille en tant que décorateur du théâtre « Wybrzeze ». Pendant plus de 40 ans il réalise les décors avec d’autres décorateurs connus tels que Hübner, Golinski, Kreczmar, Minc, Okopinski, Hebanowski ou encore Babicki. Il fut décorateur dans d’autres théâtres polonais. Il a travaillé en outre avec Adam Hanuszkiewicz, Kazimierz Kutz ou encore Stanislaw Rozewicz. Il a réalisé les décors des films « Westerplatte » et « Tapferkeitskreuz ». C’est à lui que revint de réaliser les autels lors des visites du pape à Danzig en 1987 et à Sopot en 1999. Il devint citoyen d’honneur de la ville de Danzig en 1997.

Photo: Couverture du catalogue de l’exposition Labytrinth

Tout savoir sur Marian Kolodzieja 1921-2009 –
En 1992 il est victime d’une attaque cérébrale et reste paralysé d’un côté. Après cinquante années de silence il se replonge dans les souvenirs dramatiques de sa jeunesse, il retourne aux temps de son incarcération au camp de concentration, et commence son cycle autour des « clichés de ses souvenirs. Le labyrinthe ». Les premiers travaux du cycle sont exposés en avril 1995 au presbytère de la trinité à Dantzig puis à Essen en Allemagne et Bolzano en Italie.

Photo : Arte e Criatividade, Zupi.Tv By Eliene Sa 19 March, 2014

« J’étais à Auschwitz. J’ai participé à la construction d’Auschwitz parce que je faisais partie du premier transport. Il est vrai, que je n’ai pas parlé de mon passage à Auschwitz pendant presque plus de cinquante années. Toutefois, tout ce que j’ai fais dans ma vie, était emprunt de mon passage à Auschwitz. Pas oralement ».

L’orchestre d’Auschwitz (Marian Kolodzieja 1921-2009)

« La diversité des détails de ma scénographie avait un but artistique. Des formes aptes à capter la lumière, à la réfléchir et d’autres qui étaient amenées à en produire. Et tout cela donnait le sentiment d’espace, d’air. Auschwitz était donc toujours présent, mais sous la forme de sa négation. Je ne faisais pas confiance aux mots. On ne peut pas pas raconter le camp. Je me suis efforcé, au travers de mon expérience de trouver avec le spectateur un accord, un signe connu, commun, large, profond qui allait au-delà de la seule apparence du martyr, et de lui montrer, à défaut de pouvoir tout lui montrer, une demi-vérité superficielle. Le camp, ce ne sont pas que des coups, des meurtres et du travail jusqu’à la mort, la famine et les poux. Le camp c’est aussi le silence, la révolte intérieure et le rejet intérieur, dans la mesure de ses moyens. Survivre, malgré tout ».

Décroché du poteau (Marian Kolodzieja 1921-2009)

« Je ne sais pas si je retournerai un jour à Auschwitz, ma santé ne me le permet pas. Mes dessins sont nés de ma pathologie. Dessiner est devenu un combat pour la vie, ou du moins un échappatoire à la maladie ».

La cellule de la mort (Marian Kolodzieja 1921-2009)

« C’est plus tard qu’est apparu le sentiment de devoir. C’était l’occasion pour moi de tenir une promesse faite au camp, à ceux qui sont morts, comme Stefan Jaracz, auxquels j’avais promis de raconter au monde ce qui était arrivé LÀ-BAS. Et si je n’étais pas malade? Est-ce que je retournerai au camp? C’est arrivé brusquement. Je rentrai de l’hôpital et commençais à bouger mes mains, doigts et jambes paralysés. Le meilleur exercice consistait à dessiner. J’ai commencé à dessiner, pour survivre ».

La balance de la justice (Marian Kolodzieja 1921-2009)

Comme au camp, lorsque j’ai mené des actions de résistance en dessinant les plans du camp et des usines secrètes dont j’avais connaissance. J’avais un but, le combat. Comme celui que je mène à présent contre la maladie. Je ne pouvais plus réaliser le trait ésthétique que tout artiste convoite. Ma maladresse, mon manque d’équilibre m’empêchaient de dessiner correctement. Une de mes mains était inerte et au début, je devais me coucher sur la table pour pouvoir dessiner

Le labyrinthe (Marian Kolodzieja 1921-2009)

J’avais un bloc pour mes esquisses, un 32.5 X 23 cm. Je dessinais donc sur de petites surfaces et cela me convenais, jamais je n’aurais cru passer à un format plus grand. Mais je multipliais les dessins. Au début, il y en avait peu, puis de plus en plus, je ne peux pas me l’expliquer. Sans doute ais-je puisé la force dans mes sentiments mitijés: le combat pour moi-même et celui de mon devoir de mémoire.

Triptyque (Marian Kolodzieja 1921-2009)

Il y eut donc d’abord la maladie, puis le devoir, et la suite, personne ne sait. Je ne maîtrisais rien, et encore moins ce qui arriva plus tard… je suis volontairement retourné au camp. Cette fois-ci pendant une année.
Le résultats de ce pénible travail m’a effrayé et m’a déshonoré. J’ai essayé sans détour, naïvement, de restituer mes sentiments que j’avais à l’époque, cette époque ou j’avais voulu réussir mon examen de maturité (le baccalauréat, que je n’avais pas réussi avant la guerre).
J’ai honte de moi même, honte de l’imagination fébrile d’une âme malade, honte de mes plaintes, honte de la douleur exprimée. Je brûlais les millions d’êtres que je dessinais et qui avaient été brûlés. Tout ça n’était que le fruit de ma propre introspection, de mes vérités, de mon âme nue. Nu et comme autrefois, je marchais dans le camp et je me posais la même question: « Dieu? ».

Le père Kolbe priant (Marian Kolodzieja 1921-2009)

Mes dessins sont des photographies cachées. Elles étaient interdites à Auschwitz, alors lorsque je dessinais, je m’appliquais à ce que, malgré que cela me soit difficile, que mes dessins, qui ne peuvent expliquer par les mots, puissent montrer par l’image et soient proches de la réalité, proches d’une photo prise sur l’instant. Il fallait que mes dessins soient assez expressifs pour que celui qui les regarde puisse comprendre ce qui se passe en mon for intérieur. Dans ma tête, je ne dessinais que les contours et je n’arrivais pas à faire apparaître tous les détails dans un seul dessin. C’est pour cela que j’ai décidé de sectionner mon oeuvre en épisodes qui, par la suite, devaient former une composition globale. Je l’ai portée en moi. Puis j’ai démêlé le fil des détails. Chacun avait sa propre raison d’être. Je ne les construit pas, je ne fais que les emprunter, je cite, je m’entretien avec l’histoire de l’art. Je discute avec Dürer, avec Memling. Je leur emprunte l’expression de la misère, de la souffrance et du désarroi – et je les adapte à mes expériences du 20e siècle. Il m’importe que ce que je dessine corresponde à son temps, que mon oeuvre vivre avec son époque. Leurs poses et leurs gestes sont théatralisés, mais je pense justement qu’il doit en être ainsi. J’ai côtoyé le monde du théâtre quotidiennement. Je n’ai rien à présenter de nouveau, je n’ai pas joué avec la forme théâtrale, je n’en ai pas abusé, mais j’ai simplement repris ce que j’ai vu dans les musées et dans les oeuvres. Mon oeuvre fait écho aux chef-d’oeuvres des maîtres qui ont vécu et présenter leurs ressentis, il ne s’agit pas pour moi de faire la course avec eux.

Panneaux dans la salle d’exposition à Harmęże près d’Oświęcim/Auschwitz (Marian Kolodzieja 1921-2009)

Dès que j’ai quitté le camp et que je me suis réfugié en Autriche, j’ai commencé à apprendre la langue héritée depuis des millénaires avec laquelle les hommes ont exprimés leur peine. Dans les premiers jours et semaines, alors que je tentais de m’habituer à ma liberté, je faisais connaissance avec l’art des galeries et des musées. J’ai surtout été attiré par l’art gothique. Je me suis servi de la Renaissance et du Baroque pour mon oeuvre théâtrale. En tout cas, j’utilisais plutôt un art conventionnel fait de signes et de symboles. Où que l’on soit, les gestes du chemin de croix sont partout identiques.

Crucifié