CALIN – SABEF

En se promenant dans la nécropole nationale de Dieuze, on découvre tout le sacrifice du peuple roumain et de ses soldats venus mourir en Lorraine loin de la terre qui les a vu naître. Combien sont-ils à avoir été sacrifiés pour des idéaux qui nous semblent bien lointains aujourd’hui, plus de cent ans après les évènements et qui allaient bouleverser irrémédiablement la première moitié du 20e siècle. 


Monument Dieuze – Collection Christophe Woehrle ©

Contrairement à la Nécropole roumaine de Soultzmatt, les soldats roumains reposent sous des croix chrétiennes et non des croix tréflées orthodoxes, identiques à celles des soldats français. Aucune mention de « mort pour la patrie » n’est faite sur l’épitaphe et il n’est pas rare de découvrir uniquement un nom et un prénom sans aucune autre indication, parfois un inconnu y repose, son sacrifice tombant inexorablement dans l’oubli.

Au hasard d’une promenade dans ce lieu de recueillement, une tombe pourtant semblable aux autres attire le regard. Le nom qui y est inscrit semble commun et son prénom n’est pas rare, son régiment est indiqué ainsi que la date de son décès. Stefan Calin du 74e Régiment d’Infanterie est décédé le 18 avril 1917 et repose tombe 674

Tombe Calin Stefan – Photo Christophe Woehrle 2018 ©

La consultation des archives du CICR ne permet pas d’identifier de soldat roumain portant le nom de Stefan Calin au sein du 74e R.I. Il y a bien six homonymes mais aucun ne correspond au régiment, ni aucune déclaration de décès à la date indiquée sur l’épitaphe. Un relevé systématique des décès en Lorraine permet de relever onze décès dans la région, tous dans la ville de Sarrebourg, lieu d’implantation d’un hôpital militaire allemand qui soigne les prisonniers de guerre roumains.

Sarrebourg – Collection Christophe Woehrle ©

Parmi ces déclarations de décès à la date du 18 avril 1917 à Sarrebourg, un seul correspond à un militaire ayant appartenu au 74e Régiment d’Infanterie et la proximité de son identité avec celle indiquée sur la tombe recherchée, ne laisse guère de doute sur le fait qu’il s’agit bien de la même personne. Une simple vérification parmi les tombes de Dieuze confirme que la sépulture de cet homme y est introuvable rendant l’identification définitive.

Le soldat Coliu Sabef du 74e R.I. déclaré décédé à Sarrebourg le 18 avril 1917 est bien enterré à Dieuze sous le nom de Stefan Calin. L’identification de ce soldat, dans ces conditions est quasiment impossible et a sans doute conduit au fait, que sa famille en Roumanie, n’a jamais été en mesure de retrouver la sépulture de celui qui est tombé loin de sa patrie, le laissant sombrer dans l’oubli et l’indifférence du temps qui passe, inlassablement.

Déclaration décès – CICR ©

Les archives nous permettent d’identifier formellement le soldat et les informations recueillies à son sujet laissent suggérer qu’il soit de confession musulmane. Enterré sous un nom qui n’est pas le sien, il repose également sous le symbole d’une religion qui n’est pas la sienne.

Coliu Sabef est né en 1881 dans la commune de Cearmulia-de-Jos dans le judet de Constanta (aujourd’hui Tulcea), il est le fils d’Ene Sabef. Soldat de la 4 Compagnie du 74e Régiment d’Infanterie il est fait prisonnier le 06 novembre 1916 à proximité de la commune de Peris sur les bords de la rivière Cocioc à une quarantaine de kilomètres au nord de la capitale. Il est transféré au camp de Tucholà (Pologne) avant d’être emmené en Lorraine, à proximité du front, pour y construire des voies ferrées et des ponts. Les conditions de captivité sont terribles et le manque de nourriture et les mauvais traitements conduisent au décès de nombreux prisonniers. Cette année, sous le haut patronage de Sa Majesté Margaretha de Roumanie, Gardienne de la Couronne, va être créée l’Association Mémoire des Tombes Roumaines avec le soutien du Souvenir Français. Nous allons œuvrer auprès des autorités et institutions compétentes afin que des héros comme Colui Sabef puissent reposer dignement. L’association met également tout en œuvre pour diffuser de manière pédagogique l’histoire des soldats roumains lors de la Première Guerre mondiale et fait tout pour retrouver les descendants des victimes afin qu’elles puissent honorer la mémoire des leurs.

Stèle musulmane –
Collection Christophe Woehrle ©

Christophe Woehrle 2021 ©