Otages – 14000 – Buchenwald – Ravensbruck – Mittelbau Dora – Lublin Majdaneck

Les destins tragiques de S.T.O de la Charente et de la Vienne

En avril 2016, je rencontrais un ancien S.T.O de la Vienne. André Thaudière me racontait alors son parcours lors de la Seconde Guerre mondiale et son destin de travailleur obligatoire. Lors de l’évocation de son départ vers l’Allemagne, il me relatait, ce que j’appellerai, l’affaire Véniers. Il raconte: « Y en a un de Loudun qui s’appelait Véniers, et il était de la commune de Véniers, il a été pris comme otage et il n’est pas revenu. De Paris, ils l’ont emmené à Compiègne, puis ils les ont emmenés sur plusieurs camps, je ne saurais les retenir, puis il a fini ses jours, près de la Mer Baltique, il est mort de mauvais traitement. Il a été pris comme otage parce qu’il y en avait un qui a tiré la sonnette d’alarme. Ils étaient 27, ils en ont pris 27« .

Le Souvenir Français de Loudun, présent lors de l’interview, me faisait alors remarquer que le souvenir de Véniers avait été complètement oublié dans la commune, et que même son nom, ne figurait pas sur le monument aux morts. Après vérification, c’était le cas. Mais qu’était-il donc advenu de cet homme et pourquoi sa mémoire n’avait-elle pas été honorée après-guerre?

Il me fallait comprendre.

Je me suis donc mis au travail et ai commencé à chercher toutes les informations concernant le départ et tenter de retracer ce qui c’était réellement passé dans le train du 15 juin 1943. André Thaudière m’avait donné sa version : « Nous sommes partis de Poitiers, ceux qui étaient venus des Charentes, avaient déjà tiré le signal d’alarme. Le train s’arrêtait, les jeunes descendaient du train, sur tout le train il n’y avait que deux Allemands, c’était la police, ils étaient armés bien sûr, alors on descendait, les mécaniciens passaient débloquer les freins des wagons puis il fallait remonter dans les wagons. De Poitiers jusqu’à Paris, c’était la même chose, plusieurs fois ils ont tiré le signal d’alarme. En arrivant à Paris, là ce fut une surprise, tous les 400 mètres il y avait un Allemand, les mitrailleuses pointées sur nous, puis ils ont pris une personne par compartiment qu’ils ont placé sous la sonnette d’alarme. […] Ils étaient 27, ils en ont pris 27« . Après quelques recherches, je trouvais dans la littérature d’après-guerre les témoignages d’Homère Fonteneau et de Paul Bolteau, eux aussi présents dans le fameux train et pris comme otages. Paul Bolteau raconte : « Le mardi 15 juin, M.Simonneau me conduit à la gare de La Rochelle, où à 7 heures du soir, je dois prendre le train des « requis ». Je crois que le voyage sera gai, car il y a du « pinard » en abondance. À peine avons-nous fait quelques centaines de mètres, que notre train s’arrête, quelqu’un ayant tiré la sonnette d’alarme. On stationne une vingtaine de minutes et le train repart quand bientôt un nouvel arrêt se produit. À l’aube nous arrivons à Poitiers, alors que nous devions être à Paris. Nous passons successivement à Châtellerault, Tours, Blois, Orléans, Étampes et en dernier lieu Paris. Aussitôt l’arrêt, plusieurs centaines de soldats allemands, armés de fusils et de mitraillettes, entourent notre train et les cris ainsi que les chants s’arrêtent. Un officier choisit des otages. Une quinzaine de mes camarades sont alignés et douze ou quinze autres nous rejoignent« . Emmenés en camion en prison, sept d’entre eux sont séparés au matin du groupe, Paul Bolteau continue son récit : »La porte s’ouvre et livre passage à nos sept camarades, les cheveux en désordre, la figure tuméfiée. On devine ce qui a pu se passer. On les avait emmenés dans la chambre aux supplices. Là, accueillis à coups de pied et de poing, ils étaient bientôt à terre. On étendait alors chaque supplicié sur le ventre; un homme lui tenait la tête, un autre les pieds et un troisième armé d’un nerf de bœuf frappait alors sur le dos à coups redoublés« . Plus tard, ils sont emmenés dans une casemate du fort de Romainville. Homère Fonteneau, confirme dans ses récits les dires de son camarade Paul Bolteau : »Et ils ont tiré le signal d’alarme, provoquant l’arrêt du convoi. Le convoi ainsi arrêté n’atteindra Poitiers que le lendemain matin. Nous arrivons enfin à Paris, gênant les convois militaires et provoquant une mauvaise humeur manifeste chez les officiers. Mais voilà la « Gestapo », ils désignent un otage par compartiment : Descendez avec vos bagages, vous paierez pour les autres. Bilan : sur les mille cinq cents que comptait le convoi, vingt-neuf jeunes ont été arrêtés. Un fourgon cellulaire nous emmène au siège de la Gestapo, rue des Saussaies. Nous sommes appelés un à un pour recevoir vingt-cinq coups de nerf de bœuf sur les fesses nues, à faire jaillir le sang. Les derniers ne seront pas frappés car le fourgon nous attend pour nous transporter au Fort de Romainville ». Les témoignages concordent et la violence dont sont victimes les otages est terrible.

Si les témoignages font état d’un nombre d’otages entre 27 et 30, j’ai tenté de dresser la liste des otages, grâce au relevé du transport de Compiègne vers le camp de Buchenwald.

Au total, 999 déportés quittent Compiègne le 25 (ou peut-être le 26) et arrivent le 27 à la gare de Weimar. Il s’agit de 860 Français et de 139 étrangers, dont 62 Néerlandais, 43 Polonais et 19 Belges.

J’ai tenté, avec l’aide des archives de Caen, de dresser la liste des otages.

 

  1. BERNARD Gaston 1922 Charrais (Vienne)
  2. BERTANDEAU André 1922 Salignac Charente)
  3. BOLTEAU Paul 1922 Toutlemonde (Maine et Loire)
  4. BOURON Georges 1922 Moëze (Charente-Maritime)
  5. BOUTON James 1922 Saint-Martial-de-Montmoreau (Charente)
  6. BRASSAUD Denis 1922 Corme-Royal (Charente-Maritime)
  7. DANIEL Robert 1922 Rochefort (Charente-Maritime)
  8. DEBESSE Roland 1922 Saint-Ciers (Gironde)
  9. DEON Roger 1922 Saint-Séverin (Charente)
  10. FAUCHEREAU Robert 1922 Nancras (Charente-Maritime)
  11. FAVREAU André 1922 La-Flotte-en-Ré (Charente-Maritime)
  12. FEVRE Voley 1922 La-Flotte-en-Ré (Charente-Maritime)
  13. FONTENEAU Homère 1922 à Baignes-Sainte-Radegonde (Charente)
  14. FOURNEAU Georges 1922 à Saint-Maurice-la-Clouère (Vienne)
  15. FRADIN Georges 1922 à Saint-Denis-du-Payré (Vendée)
  16. GODET Max 1922 à Sousmoulins (Charente-Maritime)
  17. GUIBERT René 1922 à Saint-Vaize (Charente-Maritime)
  18. HERAUD Adolphe 1922 à Saint-Séverin (Charente)
  19. LAMARCHE Norbert 1922 à Chabournay (Vienne)
  20. MIDY Fernand 1922 à Vouillé (Vienne)
  21. PINEAU Roger 1922 à Vaux-en-Couhé (Vienne)
  22. PRIEUR Rémy 1922 à Frontenay-sur-Dive (Vienne)
  23. ROUSSEAU Fernand 1922 à Couhé-Vérac (Vienne)
  24. ROUSSEAU Roger 1922 au Chaunay (Vienne)
  25. ROUSSILLON Paul 1922 à Bordeaux (Gironde)
  26. VENIERS Emilien 1922 à Ouzilly-Vignolles (Vienne)

 

Il manquerait donc encore quelques noms, mais ces derniers n’ont pas pu être trouvés et certifiés par le travail d’archive.

 

Homère Fonteneau raconte le départ : « Nous sommes le 26 juin 1943. Le groupe des 29 otages dont je fais partie est incorporé à un millier d’internés à destination de l’Allemagne. […] Le camp de Buchenwald […] allait nous accueillir en cette soirée du 27 juin 1943 ».

Ils formèrent ainsi le premier convoi de Français internés à Buchenwald. Leurs matricules s’étalant de 13800 à 14800, ils appartiennent, dans les annales du camp ; à la série des 14000. Selon les statistiques officielles, 74.8% des hommes de cette série ne rentreront pas vivants.

 

Le destin des 28 ou 29 otages sera différent après Buchenwald, bien que la majeure partie ne soit pas séparée au début. Paul Bolteau raconte : « Le 8 juillet 1943 à l’appel, les S.S désignent 400 hommes qui doivent quitter le camp le lendemain. Des 28 hommes arrêtés avec moi à Paris, 24 sont pour partir et je suis du nombre ».

 

Les 24 arrivent donc sur l’île d’Usedom le 11 juillet 1943 au bord de la Mer Baltique.

 

Toujours à la recherche du destin de monsieur Veniers, j’ai donc demandé auprès des archives de l’ITS (International Tracing Service) de Bad Arolsen, le dossier de ce dernier. Il m’a ainsi été possible de retracer le parcours suivant.

 

Comme Paul Bolteau, il est transféré de Buchenwald à partir du 11 juillet 1943 et interné au camp de concentration de Ravensbrück, au commando de travail de Karlshagen sur l’île d’Usedom, son nouveau matricule est  le 4938.

 

Après le bombardement de l’usine de V2 de Karlshagen et la destruction totale des installations, Paul Bolteau et Emilien Véniers retournent au camp de Buchenwald. A nouveau leur destin sera commun, car ils sont tous deux transférés le 14 octobre 1943 vers le camp de concentration de Dora, annexe du camp de Buchenwald. Là, Emilien Véniers obtiendra le matricule: 28 021.

Finalement Emilien Véniers quittera Paul Dolteau le 15 janvier 1944 pour être transféré, malade, vers le camp de concentration de Lublin Majdanek. Situé en Pologne au sud-est de Varsovie, le camp est situé à deux kilomètres de Lublin, près du village de Majdaneck. Comme Auschwitz, il s’agit d’un camp d’extermination. Des convois de déportés malades venant de Buchenwald, Dora, Ravensbrück et Sachsenhausen sont envoyés à Lublin début 1944 et subissent des « sélections » allant jusqu’à 100 % d’extermination. Un déporté, Roger Arnoult, témoigne : « […]un transport de malades provenant de Dora arrive à Maïdanek, il comprend 250 Français en piteux état qu’on envoie là pour mourir. Simplement les S.S. ont voulu soulager le Revier de Dora. Ils sont de tous les convois de 1943, des 20 000, des 21 000, des 30 000, des 38 000, mais on trouve aussi des 14 000 ou des 28 000 ex-14 000. Tous mourront dans les conditions les plus affreuses en quelques semaines. En avril, les 8 derniers encore vivants, seront transférés à Auschwitz. Un seul rentrera en France en 1945 et ce n’est pas un «14 000» donc aucun survivant dans ce lot »

Monsieur Véniers est donc décédé au camp de Lublin-Majdaneck entre le 15 janvier et le 8 avril 1944.

 

En consultant son dossier aux archives des victimes des conflits contemporains de Caen, quelle ne fut pas ma surprise de constater que son dossier porte la mention: « N’a pas droit à la mention Mort en déportation », décision prise le 18 décembre 2000 !, soit 56 ans après son décès. Le 25 Mai 1950 suite à un acte de disparition établi le 30 août 1947 à la demande de DUBOIS Cyriaque (grand-père et tuteur) de Ranton dans la Vienne, la Direction du Contentieux de l’État-civil et des recherches rend compte au notaire de Loudun, Monsieur Lucien Boillot, qu’aucune indication n’est connue sur le sort du déporté Véniers.

Rien, à priori, concernant le refus de la mention de Mort en déportation. Un document attire mon attention, il s’agit d’une attestation de l’employeur de Monsieur Véniers Emilien, avant son départ pour le S.T.O. Cette dernière stipule : « Niré le 23 juin 1947 – Criton Albert cultivateur à Niré-le-Dolens, commune de Véniers, Loudun (Vienne). Certifie avoir employé Mr Véniers Emilien (né le 23 mai 1922) le 24 juin 1938, est resté à mon service jusqu’à son départ pour l’Allemagne le 15 juin 1942. La classe à laquelle il appartenait fut réquisitionnée comme travailleur, fut interné à Compiègne, puis à Buchenwald et enfin à Dora ou il devait mourir ». Et voilà, cette date du 15 juin 1942, sans en avoir l’air, allait mettre un doute sur le fait qu’Émilien Véniers avait été requis, en effet, les requis sont partis le 15 juin 1943, pas en 1942 ! C’est ainsi, que considéré comme possible volontaire pour le travail en Allemagne, que la mention lui est refusée. Le dossier ne contenant aucune des autres preuves accumulées dans le travail que j’avais fourni pour retrouver sa trace. En outre, le témoignage de Paul Bolteau qui écrivait du Fort de Romainville : « Je suis désigné pour aller au bâtiment A3, chambre 11, et j’y vais avec plusieurs de mes camarades arrêtés comme moi. Il y a Camille Bluteau et Emilien Vinier, de la Vienne, André Favreau et Volcy Fevre de l’Ile d Ré, Bouton des environ de Jonzac ». La preuve était donc faite qu’Émilien Véniers avait bien été arrêté dans le train du 15 juin 1943 et déporté vers l’Allemagne avec Paul Bolteau. J’ai donc, en date du 6 août 2016, déposé une demande de révision du dossier Véniers auprès de l’office national des anciens combattants et victimes de guerre. À ce jour, je viens d’apprendre qu’un acte de décès sera prochainement dressé pour cet homme (72 ans après, il n’est pas trop tard) et qu’il devrait se voir attribuer la mention « Mort en déportation » et sans doute « Mort pour la France ».

 

L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais en consultant les dossiers des autres otages de ce train, il me fallut me rendre à l’évidence que deux autres otages n’avaient obtenu la mention « Mort pour la France ». L’un d’entre eux figurait bien au monument aux morts de sa commune, mais l’autre ne figurait même pas sur ce dernier. C’est ainsi, que le 6 août 2016, en même temps que je déposais ma demande pour Emilien Véniers, je déposai une demande pour messieurs PRIEUR Rémy et DEON Roger.

 

Revenons rapidement sur le parcours de ces deux hommes. Partis dans le train du 15 juin 1943, ils connaîtront le même sort que les précédents et sont pris comme otages. Monsieur DEON Roger, qui a suivi monsieur VENIERS Emilien dans son calvaire est décédé le 17 mars 1944 à Lubin Majdanek. Le 11 juin 1958 il obtient le statut de déporté politique attribué à son épouse, DEON Eva. Ce n’est que le 3 juin 2009 que la mairie de Saint-Séverin reçoit l’ordre du Ministère de la Défense d’apposer sur l’acte de décès de Monsieur Deon, la mention « Mort en déportation ». Le nom de Roger DEON figure sur le monument aux morts de la commune. Malgré tout, aucune trace de la mention de « Mort pour la France ». Le 5 septembre 2016, suite à ma demande et au vu des pièces apportées au dossier, la mention « Mort pour la France » a été accordée à Monsieur DEON Roger.

Concernant monsieur Rémy PRIEUR, décédé le 15 décembre 1943 à Dora, si un acte de décès a bien été établi en la commune de Mazeuil en date du 30 août 1946 et que la mention « Mort en déportation » lui a bien été attribuée le 29 octobre 1997, son nom ne figure ni sur le monument aux morts de Mazeuil, ni sur celui de Frontenay-sur-Dives. Comme pour les précédents j’ai donc fais les démarches nécessaires et obtenu, comme pour monsieur DEON, en date du 5 septembre 2016, la mention « Mort pour la France » pour monsieur PRIEUR Rémy.

Décédé à l’âge de 21 ans, il ne serait donc pas trop tard pour le 17 mars 2017, date de son 95e anniversaire de porter son nom sur le monument aux morts de sa commune de naissance, et de rendre hommage au sacrifice de sa vie pour la patrie ! Je vais maintenant entreprendre les démarches auprès de la commune de Frontenay-sur-Dives.

Le 20 février 2017 le décès de Émilien Véniers a été inscrit aux archives de la commune de Loudun et la mention « Mort pour la France » a été attribuée! 76 ans plus tard, il n’est jamais trop tard pour le devoir de mémoire. Comment va se dérouler l’hommage ?

À suivre …

http://sfloudun.free.fr/Pages%20du%20menu/8%20Mai%202017.htm