Récit d’un collégien de Sarrebourg

La Nécropole nationale de Dieuze conserve deux plaques dans lesquelles sont gravés les noms de ceux qui y sont décédés. La liste est précédée d’un texte en roumain : « Fülor sai morti si inhumati la Sarrebourg ca prisonieri la Germani in morite rasboiu pentru intregirea neamului – Exhumati si reinhumati in cimitrul Dieuze. Neputand fi indentificati de oare-ce au fost gasiti in gropi comune – Patria Recunoscatoare » – Ses fils ont été tués et enterrés à Sarrebourg comme prisonniers des Allemands dans les morts luttant pour l’unification de la nation – Exhumés et réenterrés au cimetière de Dieuze. Impossible de savoir s’ils ont été trouvés dans des fosses communes. La patrie reconnaissante.

Photo Christophe Woehrle 2021 ©

Alors collégien, celui qui deviendra maire de Sarrebourg et un éminent médecin de la Faculté de Strasbourg écrit ses mémoires d’enfant dans la ville de Sarrebourg. Au fil de son périple à travers la guerre, il croise le chemin des prisonniers de guerre roumains. Son récit nous plonge dans le quotidien de la population locale et des conditions de vie.

Les cuirassiers français traversent la rue principale de Sarrebourg en Lorraine le 18 août 1914 – Collection Christophe Woehrle ©

Âgé de 13 ans en 1914, il voit les troupes françaises entrer dans Sarrebourg mais se retirer en emportant avec eux des otages civils. Ils se souvient aussi de ceux qui avaient échangé avec les soldats français et qui, au retour des Allemands, ont été traduits devant les tribunaux pour intelligence avec l’ennemi.

Bataille de Sarrebourg le 20 août 1914 – La croix sur la route de Bühl a été détruite par les bombardements et miraculeusement le Christ n’a pas été touché – Collection Christophe Woehrle ©

Malgré la guerre, le 15 septembre 1914 c’est la rentrée des classes. Le jeune collégien se souvient de ses professeurs allemands avec qui, il avait toujours cru en la victoire allemande. Ces hommes âgés, non mobilisables, étaient d’excellents pédagogues mais surtout, d’ardents patriotes allemands. Dès 1915, les élèves sont mobilisés pour les travaux agricoles et ensuite pour intégrer la Freiwillige Jugendwehr, sorte de préparation militaire, et ceux qui ne s’y présentaient pas, ne pouvaient pas se présenter aux épreuves du baccalauréat. Au printemps 1916, se répand à Sarrebourg, la rumeur sur la chute de Verdun et du Fort de Vaux, annonçant pour les Allemands une issue de la guerre rapide. A l’automne 1916, rien n’a changé et le jeune élève croise dans les rues de Sarrebourg des troupes mal habillées et qui n’ont plus le moral. La Kriegsmudigkeit s’installe, on est las de la guerre. La population souffre, les enfants sous-alimentés s’effondrent en plein cours. Le pain, 150 grammes par jour, est devenu immangeable. 250 grammes de viande par semaine, et des patates, encore des patates !… Les lycéens mobilisés en 1915 et 1916 reviennent à Sarrebourg à la fin de l’année scolaire de 1917 pour passer leur baccalauréat. La vie à Sarrebourg, en 1917, est triste et morne, la situation alimentaire se dégrade et une partie importante de la ville est à présent sous-alimentée.

Maison près de Sarrebourg – Collection Christophe Woehrle ©

Ce n’est qu’en 1918, que le jeune étudiant croise les premiers roumains à Sarrebourg. La classe de terminale ne compte alors plus que deux élèves, les élèves nés en 1899 ont été incorporés pendant les vacances scolaires et ceux nés en 1900 l’ont été au début de 1918. A l’été 1918, tous les élèves à partir de 14 ans sont mobilisés dans l’agriculture. Ils sont répartis dans les fermes des environs de Sarrebourg appartenant à des citoyens français et exploitées par des Allemands. Ils sont sous les ordres de sous-officiers allemands qui attachent beaucoup d’importance à la discipline et les jeunes troupes sont nourries par les roulantes, mais plutôt moins nourries que bien nourries. De la mi-mai à la mi-septembre le jeune est mis au service d’un agriculteur important qui possède 110 hectares de terres, huit chevaux et une quarantaine de vaches. Le travail commence à cinq heures du matin et se termine à la tombée de la nuit et deux prisonniers de guerre roumains sont avec lui au travail. Ils sont appréciés par les propriétaires et plutôt bien nourris. A la fin de la guerre, le député-maire de Sarrebourg constitue une réserve importante de pommes de terre sans laquelle les centaines de prisonniers de guerre russes, roumains et italiens auraient péri.

René Muller – Peinture – Le républicain Lorrain 2015 ©

Christophe Woehrle 2021 ©