Héros

La notion de héros dans la construction mémorielle

La construction mémorielle, après les deux conflits mondiaux du 20e siècle, a largement été politisée dans toute l’Europe et dans le monde, servant à construire une unité nationale ou un modèle politico-économique autour de la question du sacrifice au service de la patrie ou de la liberté. Lors de la Première Guerre mondiale, c’est surtout le sentiment national qui est accentué et mis en œuvre dans le développement des monuments aux morts à la gloire de ceux qui sont tombés sur les champs de bataille pour protéger leur patrie. On retrouve ainsi sur les monuments aux morts dans différents pays d’Europe, la notion de héros et de patrie.

Le monument aux morts de Suceava indique par exemple : Recunostinta vesnica eroilor cazuti pentru apararea patriei in anni 1916-1918 si 1941-1945 [La gratitude éternelle des héros tombés pour la défense de la patrie dans les années 1916-1918 et 1941-1945]

Photo Cezar Suceveanu 2009 ©
Photo Cezar Suceveanu 2009 ©

La ville allemande de Kalkar conserve un monument à la mémoire des héros dont l’inscription est : Unseren Helden 1914-1918 1939-1945 [A nos héros 1914-1918 1939-1945]

Photo Hans Hesse/Elke Purpus 2020 ©

Dans la commune de Champdor dans le département de l’Ain on retrouve un monument majestueux avec l’inscription : A nos héros 1914-1918.

Photo sans date Le Dreffia ©

Après la Première Guerre mondiale, les soldats décédés en captivité ont automatiquement été inscrits sur les monuments aux morts ou sur des plaques apposées dans des églises ou des jardins. La notion de mourir les armes à la main n’étant pas essentielle dans le fait d’être considéré comme un héros. Aujourd’hui, on entend, ça et là, certains s’étonner du fait que l’on considère ceux tombés en captivité et mort de maladie ou de mauvais traitements dans des camps de prisonniers sans être « tombé au champ d’honneur » comme des héros ! Ce que semble oublier ceux qui remettent en cause la présence des prisonniers sur les monuments c’est qu’avant de tomber aux mains de l’ennemi, ils ont combattu les armes à la main, souvent dans des conditions effroyables et que leur mort en captivité a été le résultat d’un parcours tragique. Ainsi, ils pourraient être considérés comme les « héros tragiques » de la littérature classique, qui se caractérisent par leur courage pour affronter leur destin et leur sens du devoir.

Photo Romary 2016 ©

Après la Seconde Guerre mondiale de nouvelles plaques ou de nouvelles inscriptions sont apposées sur les monuments aux morts érigés pour la guerre précédente. Les plaques et monuments commémoratifs sont pour la plupart du temps dédiés à des groupes distincts, combattants, déportés, fusillés, résistants. Chaque pays cherche à distinguer les acteurs selon des identités autres que celle de « soldats » ou de « combattants » pour véhiculer un message politique au service de la nation ce qui devient une étape importante de la modification dans la façon dont sont conçus et réalisés les espaces mémoriels. La question de la culpabilité allemande lors de la période nazie va profondément modifier la manière dont le pays va conduire sa politique mémorielle. En France, c’est tout d’abord la Résistance qui va occuper l’espace mémoriel avant d’être dépassée par la question de la Shoah et de l’extermination des Juifs d’Europe. L’arrivée du régime communiste en Roumanie dès le coup d’état du 6 mars 1945 va évidemment considérablement définir la politique mémorielle du pays.

Collection Christophe Woehrle ©

[Légende photo : En 1930, sur la place Victoriei se trouve le monument pour la patrie, un mémorial dédié aux héros. Le monument montre trois légionnaires romains qui portent sur un bouclier le corps sans vie d’un camarade. Dans les années 1940, le régime communiste le fait disparaître.]

Les travaux sur les prisonniers de guerre roumains morts en captivité en Alsace et en Lorraine montrent qu’ils ont combattu dans des conditions difficiles. Leur transfert vers les camps de prisonniers en Pologne ou en Prusse ont été réalisés dans les pires conditions sanitaires et souvent sans apport de nourriture qui faisait déjà terriblement défaut sur les champs de bataille. Arrivés exténués en Alsace et en Lorraine, mis au travail à proximité des fronts, les organismes n’ont pas résisté aux conditions météorologiques extrêmes de l’hiver 1917 et aux conditions très dures de la captivité. Malgré les conventions signées à La Hague, la protection des captifs n’est pas encore très élaborée et le contrôle du respect de celles-ci par le comité international de la Croix-Rouge est souvent bien difficile à réaliser. Dire que les Roumains ont plus souffert que d’autres nationalités en captivité allemande est sans doute vérifiable à certains endroits, mais les captifs, quelle que soit leur nationalité ou la nation qui les détenait, n’ont pas été particulièrement bien traités. Le nombre de morts en captivité de Russes, Anglais, Polonais ou Français… montre bien qu’il est difficile de définir une hiérarchie parmi cette catégorie de victimes.

Service photographique de l’Armée Roumaine – 25.09.1916 ©

Il convient de considérer les prisonniers de guerre roumains comme des victimes à part entière de la guerre, des héros tragiques, victimes d’un parcours fatal au cœur du conflit le plus meurtrier que fut la Première Guerre mondiale. Ils méritent au moins notre respect et notre plus grande reconnaissance pour l’engagement qui fut le leur au service de leur patrie. Les honorer par une plaque, un monument, entretenir leurs tombes et leur mémoire où figurent leurs noms pour qu’ils ne tombent pas dans l’oubli, telle est la mission que s’est fixée l’association française Mémoire des Tombes Roumaines en France que je préside et nous œuvrons pour l’amitié entre nos deux peuples dans le respect de la mémoire et de nos anciens en développant un programme pédagogique à destination de nos jeunes générations afin de leur rappeler que dans une guerre, il n’y a pas de vainqueurs, il n’y a que des perdants…

Christophe Woehrle 2021 ©