Des monuments, des plaques, des héros – Horgeşti, Bacau

En me promenant sur internet, je découvre des plaques des monuments aux héros de la Première Guerre mondiale érigés dans les communes de Roumanie. En Roumanie, comme en France, des monuments aux morts furent érigés. En France, démocratie laïque, c’est souvent au cœur du village que l’on retrouve le monument érigé à la « Gloire » des victimes tombées pour la « Patrie ». En Roumanie, les monuments sont placés dans les cimetières, parfois dans les écoles. C’est la religion orthodoxe qui dicte le maintien des noms sur des pierres afin que ces derniers soient lus, car il est important de garder le souvenir des morts pour qu’ils ne meurent pas une seconde fois.

Monument Horgesti – © Episcopa Romano-Catolica de Iasi

« À quelques exceptions près, il n’y a pas eu, au début du régime communiste, de destructions de monuments commémoratifs mais dans les guides illustrés de Bucarest d’avant 1965 aucun monument érigé en souvenir de la Grande Guerre n’est montré ou mentionné. L’événement qui était autrefois désigné comme « la Guerre de Réunification » a surtout été frappé d’illégitimité historique, et, si deuil collectif il y avait encore à cette époque, il demeure insaisissable, les mots et les gestes pour le dire étant interdits ou refoulés. On peut supposer, par ailleurs, que la chaîne de transmission familiale de la mémoire de la Grande Guerre s’est interrompue dans les années 1947-1965. Le passé des individus ou des familles était, pour de nombreux Roumains de l’époque, un sujet délicat, voire tabou, dont l’évocation pouvait avoir des conséquences graves. Tout comme la dimension collective, la dimension individuelle et familiale du deuil lié à la Grande Guerre a été profondément affectée par le régime mémoriel imposé par le communisme« . [Ţurcanu, Florin. « Une guerre oubliée : la Première Guerre mondiale », Cités, vol. 29, no. 1, 2007, pp. 157-160.]

Ceci explique sans doute le manque d’engouement ou simplement de connaissances des jeunes générations pour cette période si lointaine, qui non seulement se délite au fil du temps qui passe mais qui a subi l’illégitimité nationale. Des associations et des groupes sur les réseaux sociaux semblent se former et vouloir revenir sur la mémoire de la Grande Guerre et il existe même au sein du gouvernement un service dédié à la mémoire de la Première Guerre mondiale et des héros roumains tombés pour leur patrie. Si la mission d’entretenir la mémoire à l’intérieur même du pays semble difficile, il est probable que la mémoire des soldats roumains à l’extérieur du pays le soit bien plus encore. Heureusement, la diaspora roumaine est forte et s’investi dans les régions du monde où elle est présente, pour entretenir les lieux, quand ils existent, où reposent leurs héros. C’est le cas en Alsace, où de nombreux lieux de mémoire sont visités par les membres de la communauté roumaine et que de nombreux évènements, en collaboration avec les associations locales et les mairies, sont organisés pour entretenir la mémoire de ces soldats morts loin de leur patrie. C’est le cas en France, et en particulier et Alsace et en Moselle.

Commémoration Soultzmatt – © Photo Christophe Woehrle 2022

Le travail de recherches et l’étude des archives permet de retrouver la trace de soldats que les familles croyaient avoir disparus pour l’éternité et qui sont inhumés loin de chez eux. La religion orthodoxe est encore puissante en Roumanie et il tiendra certainement à cœur, aux familles qui en seront informées, d’honorer la mémoire d’un ancêtre qui était inexorablement tombé dans l’oubli. En découvrant récemment sur internet la plaque du monument aux morts de la commune d’Horgeşti dans le judet de Bacau, je découvre le nom de trois soldats qui sont morts en Alsace.

Monument Horgesti – © Episcopa Romano-Catolica de Iasi

Le premier est Iancu Boz R. 27 Inf. – Ce soldat de la 16e  compagnie du 27e  régiment d’infanterie est né en 1886 à Horgeşti. Le 19 novembre 1916, il est fait prisonnier par les Allemands à Turburea, Gorj et est transféré dans le camp de prisonniers de guerre de Tucholà en Pologne. Les conditions sont terribles, les hommes affaiblis par les combats sont exténués par le long voyage. Dès la mi-janvier, les hommes sont à nouveau embarqués pour être emmenés vers le front de l’ouest, en Alsace, pour travailler à la construction de lignes de chemins de fer pour approvisionner les fronts en Alsace et dans les Vosges. L’hiver 1917 est le plus rude qu’a connu le siècle et les organismes affaiblis par la captivité, succombent au froid et au manque de nourriture. Iancu Biz arrive dans le sud de l’Alsace, à Steinbrunn-le-Haut dans le département du Haut-Rhin. Les conditions de travail dans ce détachement sont particulièrement dures et le sous-officier allemand chargé de diriger le camp n’est pas respectueux des conventions et ne montre que peu d’humanité envers ceux qu’il considère comme responsables du prolongement de la guerre. Le 28 mai 1917, Iancu Boz meurt à Steinbrunn-le-Haut où il inhumé dans une fosse commune avec six autres de ses camarades. Après la guerre, on rassemble les tombes roumaines dansune nécropole située à Soultzmatt. Les fosses communes de Steinbrunn-le-Haut sont rassemblées en une seule où reposent 71 corps, dont celui de Iancu Boz.

Le second est Doboş Mihai, R. 27 Inf. – Les archives montrent que ce soldat appartenait à la 6e  compagnie du 67e  régiment d’infanterie, il est né en 1883 à Horgeşti. Pour lui, la captivité commence le 15 novembre 1916 lorsqu’il est fait prisonnier à Sălătruc. Comme son camarade Boz, il rejoint Tucholà puis est dirigé vers les Vosges. C’est au col de Prayé, tout près du front, qu’il décès le 26 janvier 1917, quelques jours après son arrivée dans la région. Une nécropole est créée en Lorraine pour rassembler les corps des soldats roumains et c’est à Dieuze que Mihai Doboş est inhumé dans une tombe individuelle. Dans les recherches apparait un troisième nom originaire de Horgeşti et qui ne semble pas figurer sur le monument aux morts. Il s’agit de Iancu Vascanu, soldat de la 9e  compagnie du 67e  régiment d’infanterie, né en 1880 à Horgeşti, fait prisonnier le 13 décembre 1916 à Poiana-Spinului. Il arrive en Alsace au début de 1917 et est hospitalisé à Colmar au mois d’octobre 1917. Il décède à l’hôpital de Colmar le 5 octobre 1917 et est inhumé dans le cimetière militaire de la ville. Son corps est exhumé en 1972 et enterré dans la Nécropole Roumaine de Haguenau, dans le nord de l’Alsace. Il repose dans une tombe individuelle.

Nécropole roumaine Haguenau – Photo Christophe Woehrle 2021 ©

Dans mes travaux portant sur la Lorraine, je découvre à présent deux autres soldats roumains originaires de la commune

Cojoc Neculai, R. 67 Inf. Les archives dévoilent qu’il était dans la 2e  compagnie du 67e  régiment d’infanterie. Il était né en 1883 à Horgeşti et fait prisonnier le 26 novembre 1916 à Parepa. Lui aussi passe par Tucholà et est mis au travail dans un détachement en Lorraine. En mars 1917, il est hospitalisé dans la ville de Sarrebourg où il décède. Son corps sera inhumé dans la nécropole roumaine de Dieuze où il repose en tombe individuelle.

Comme Vascanu, apparait un nom qui ne semble pas figurer sur le monument aux morts. Celui de Gheorghe Pascu, soldat de la 8e  compagnie du 67e  régiment d’infanterie, né en 1882 à Horgeşti et fait prisonnier le 17 novembre 1916 à Salatruc. Il suit le même parcours que ses camarades et rejoint la Lorraine et le détachement de travail de Gélucourt où il décède le 13 mars 1917. Il est inhumé en tombe individuelle dans la nécropole de Dieuze.

Nécropole de Dieuze – Carte Postale – Collection Christophe Woehrle ©

Je propose à la commune d’Horgeşti d’aller déposer sur les tombes des enfants de la commune, des fleurs de leur part, lorsque mes recherches ou mon engagement mémoriel avec mon association Mémoire et Histoire des Tombes Roumaines en France me conduira sur les lieux de leur sépulture. De son côté, la commune pourra tenter de retrouver des descendants des héros pour leur permettre, s’ils le souhaitent, de venir se recueillir sur la tombe de leur héros et de prononcer leur nom avec fierté.

Gerbe de l’association Mémoire et Histoire des Tombes Roumaines en France – Photo : Christophe Woehrle 2022 ©

Christophe Woehrle 2022 ©