Il y a cinq jours, le 20 octobre 2020, je publiai sur les réseaux sociaux et sur une page de Radio France Roumanie, qui me soutient depuis plusieurs mois dans mes recherches, un article sur les nécropoles roumaines en Alsace, en particulier celle de Haguenau et je dévoilais mon travail sur les prisonniers de guerre roumains enterrés comme inconnus dans ce cimetière et que mes longues recherches ont permis d’identifier afin de leur redonner une identité.
Hier, un ami historien roumain, Dan Ramf, spécialiste de l’histoire de l’armée roumaine et membre de l’association mémorielle en faveur des vétérans roumains de toutes les guerres, a partagé mon article dans le cercle des ses contacts en Roumanie.
Les résultats ne se sont pas fait attendre, car aujourd’hui, dimanche 25 octobre 2020, j’ai été contacté par l’époux de l’arrière-petite-fille d’un des « Inconnus » qui me disait à quel point cette nouvelle est un choc pour sa famille. En effet, le grand-père de son épouse était âgé d’un an lorsque son père est parti à la guerre. Il ne le connaîtra jamais, mais a du vivre toute son existence sans savoir quel fut le destin de son père. Il est décédé sans savoir … l’avenir et la vie de toute une famille a été influencée par cette épreuve.
Voilà, donc l’histoire de cet homme, mort il y a 103 ans dans notre région, en Alsace.
Nikulae Maciuca est né en 1887 à Scapau dans le judet de Mehedinti. Mobilisé en 1916, âgé de 29 ans et père d’un enfant âgé d’un an, il intègre la première compagnie du 66e Régiment d’Infanterie. Constitué en août 1916, il appartient à la 32e Brigade d’Infanterie. Il est envoyé au Nord-Est de Bucarest où il est fait prisonnier le 19 novembre 1916, à Barbulesti.
De là, dans des conditions terribles, sans rien à manger, par un froid terrible, usé par une confrontation de plusieurs semaines, il est mis avec ses camarades de captivité en route vers la Pologne et le camp de prisonniers de guerre de Tucholà où il reçoit le matricule 35778.
Ils arrivent épuisés, à bout de force, dans ce camp principal où ils ne resteront à nouveau que peu de temps, la destination finale étant l’Alsace où ils arrivent après deux mois de voyage et plusieurs milliers de kilomètres dans des conditions effroyables. L’hiver 1916-1917 fait partie des plus vigoureux de l’histoire de l’Alsace. Nikulae Maciuca est envoyé vers le détachement de travail d’Ensisheim affecté à la construction d’une route qui doit rejoindre Chalampé au bord du Rhin et alimenter la ligne de front.
Le 28 février 1917, à six heures du soir, un camion allemand charge 14 prisonniers de guerre roumains du camp d’Ensisheim en direction du nord du département. Le transport arrive à Bischheim, au nord de Strasbourg, où les hommes sont déposés pour, sans doute, être affectés à des détachements de travail. On perd leur trace à ce moment-là. 14 mois plus tard, les actes de décès de quatorze prisonniers roumains sont dressés à la mairie de Bischheim fixant leur décès pour une raison inconnue dans la nuit du 28 février au 1er mars 1918. Beaucoup d’historiens se posent la question d’un accident ou d’une exécution sommaire…
Les actes dressés mentionnent le nom, le prénom, le régiment et surtout, le matricule de chaque prisonnier, ce qui permet de penser qu’il n’y a pas eu de volonté de dissimuler les identités de ces hommes. Ils sont toutefois enterrés et la plaque de leur tombe ne mentionne que le numéro de matricule. Lors de l’exhumation en 1972 et le transfert vers Haguenau, on se contente de reprendre les informations apposées sur la croix d’origine.
J’ai acquis la conviction, par mes recherches, que ces prisonniers de guerre ont été mis au travail dans différents détachements de la région de Bischheim et qu’ils sont décédés entre fin février et mai 1917, comme de nombreux de leurs camarades. Ils n’ont pas été déclarés directement et l’inscription à l’état-civil s’est faite à postériori, sans autres indications, fixant leur décès à leur arrivée à Bischheim.
Voici l’acte qui permet d’identifier le matricule de Nicolai Macinea [Nikula Maciuca]
Voici sa liste d’arrivée au camp de Tucholà en Pologne
Voici sa fiche de Prisonnier de Guerre conservé au CICR
Christophe Woehrle 2020 ©