William Stern 1882-1944

William Stern

Botosani, Roumanie

Il ne s’agit pas ici de présenter l’histoire de la Roumanie dans le détail, mais de replacer notre sujet dans son contexte et dans ses grandes lignes. Notre histoire commence au milieu du 19e siècle, avec la naissance de Bertha Marcovici en 1851 et Jakob Stern à Botosani en 1854, ils naissent tous les deux citoyens de l’Empire ottoman, mais dès leur prime jeunesse, la Moldavie roumaine qui les a vu naître, s’unit avec la Valachie pour former les principautés unies de Moldavie et de Valachie, sous le règne du Prince souverain de Roumanie, Alexandru Ioan Cuza.

Francophone, on lui attribue la phrase suivante : « Je ne suis pas un homme du peuple, mais je suis un homme pour le peuple ». Le sultan ottoman, suzerain en titre, accepte cette union en 1861, en 1862 le nouveau pays reçoit le nom de Roumanie et Bucarest en est sa capitale. En 1866, face à la montée d’une coalition, Alexandru abdique au profit de Charles de Hohenzollern-Sigmaringen, qui règne sous le nom de Carol Ier.

La Roumanie proclame son indépendance de l’Empire Ottoman, le 9 mai 1877, en 1881 est proclamé le royaume de Roumanie et Carol en devient le premier roi. Jakob et Bertha ont donc la vingtaine lorsque les évènements importants dans l’histoire de la Roumanie ont lieu. Est-ce un espoir ? Au début certainement, car ils accueillent leur premier enfant en 1882, le 27 janvier, qu’ils prénomment Wolf. En Moldavie Roumaine, les Juifs sont sous la protection des Boyards, aristocrates moldaves, propriétaires terriens dont Alexandru Ioan Cuza est issu. Si dans l’économie moldave on peut, çà et là, rencontrer des Français et quelques Russes, les Grecs y ont le monopole des céréales et les Arméniens celui du commerce des bestiaux. Mais les commerçants sont essentiellement Juifs. Ils y pratiquent le change et sont les banquiers des Boyards. A la campagne, ils sont commerçants et marchands, aubergistes et merciers ou encore tailleurs. Ils parlent le Yiddisch et se différencient des autres étrangers par leurs coutumes, leurs costumes et leurs coiffures traditionnels. Jakob Stern travaille dans le textile, il est blanchisseur. Les Roumains, sont paysans et l’agriculture est dans un état archaïque, les outils datent de l’époque romaine et le bœuf est l’outil de traction, on n’utilise pas d’engrais. Mais il est une population encore bien plus défavorisée en Moldavie, ce sont les Tsiganes. Asservis et vendus comme esclaves, ils pratiquent les métiers de cordonniers, musiciens ou forgerons itinérants. Ils sont affranchis par l’état en 1844, mais les Boyards et les couvents ne les affranchissent qu’en 1855, toutefois ils restent itinérants et miséreux.

En Roumanie, les Juifs sont considérés comme des étrangers sans citoyenneté. De 1878 (Congrès de Berlin) à 1914 les lois discriminatoires se succèdent faisant de la Roumanie un pays professant un antisémitisme d’État systématique. Les Juifs sont exclus de nombreuses professions (magistrature, enseignement, administration, médecine, agriculture). En 1886 le Congrès antisémitique roumano-européen tenu à Bucarest préconise l’expulsion des Juifs de l’Europe. Cet antisémitisme institutionnalisé provoque une forte immigration : entre 1899 et 1913, 90 000 Juifs quittent la Roumanie pour les États-Unis, l’Europe occidentale ou la Palestine. Les Juifs ne sont reconnus citoyens roumains qu’en 1919 (Conférence de la paix de Paris).

Les Stern fuient l’antisémitisme

Les Stern font donc partie de l’élite roumaine lorsqu’ils sont installés en Roumanie. S’ils maîtrisent le Yiddisch et le parle dans le langage quotidien, leur fils Wolf est élevé en langue française, qu’il maîtrise parfaitement, nous le verrons plus tard. En 1890, nait Marc leur second fils. La montée de l’eugénisme européen et de l’antisémitisme à l’est de l’Europe pousse les Stern à envisager de quitter la Roumanie dès la fin du 19e siècle.

Le 15 mars 1902, le couple et le plus jeune fils, débarquent à New-York, en provenance du port de Hambourg. Marc est scolarisé dès son arrivée en 1902 aux Etats-Unis, alors qu’il est âgé de 12 ans. Marc parle l’anglais en 1905 et ne parle plus que Yiddisch avec ses parents, dans le cadre familial.

Wolf Stern choisit la France

Wolf, âgé de 20 ans, fait le choix de rester en Europe et sa destination est Paris. On retrouve sa trace à Paris en 1907, lorsqu’il est reçu au concours de l’internat, on peut penser qu’il avait commencé ses études de médecine 4 ou 5 ans plus tôt, vers 1903. Il aurait eu alors 21 ans, ce qui est cohérent. Les études de médecine duraient six ans. Les internes ont toujours soutenu leur thèse à la fin de leur internat, pendant la dernière année ou juste après. Il est naturalisé français par décret le 27 septembre 1908. Wolf Stern soutient sa thèse sur la contribution à l’étude chirurgicale des utérus doubles sans hématométrie en 1910-11. Il est l’interne du docteur Eugène Rochard, chirurgien honoraire des hôpitaux, membre de l’Académie de médecine avec lequel il participe à la septième édition du diagnostic chirurgical paru en et qu’il signe Wolf-Maurice Stern en 1923.

En 1913, les sociétés minières et métallurgiques du bassin construisent à Briey l’Hôpital des Mines et de la Métallurgie. Les métiers des mines et de la métallurgie sont dangereux et les accidents fréquents. Si des infirmeries se trouvaient dans chaque mine ou usine où l’on pouvait traiter des accidents peu graves. Pour les cas graves, seul l’hôpital de Nancy pouvait accueillir les blessés, acheminés par train et un voyage parfois fatal. Construit en bordure de la route de Longwy à Pont-à-Mousson, c’est une construction imposante édifiée sur un petit plateau et peut accueillir jusqu’à 130 lits. Le directeur de l’hôpital est le docteur Stern, chirurgien de haute valeur, venant de la capitale, assisté des sœurs de l’ordre de Saint-Charles, aidées par des infirmières et infirmiers.


Le docteur Stern entouré d’infirmières – date inconnue

C’est à cette période que Wolf Stern rencontre la fille d’un éminent médecin de la faculté de médecine, le docteur Auguste Marlier, née à Bruyères en 1892 et domiciliée à Villerupt ou exerce son père. Le neuf mars 1914, à Paris, il épouse Yvonne Marguerite et un contrat de mariage est signé à Briey où le couple s’installe. Le témoin de Wolf est le docteur Eugène Rochard, officier de la Légion d’Honneur, dont il était l’interne pendant ses études.

Wolf Stern, médecin lors de la Première Guerre mondiale

La Première Guerre mondiale éclate et Wolf est réintégré dans le service armé le 6 septembre 1914 par décision de la 3e commission de réforme de la Seine (Porte de Châtillon) et nommé médecin aide-major de 2e classe de réserve pour la durée de la guerre par décret présidentiel du 17 septembre 1914. Il est intégré au service de santé du 6e  corps d’armée et rejoint l’hôpital temporaire de Noeux-les-Mines.

Chirurgien distingué qui par son habileté et son labeur incessant, a été d’un précieux secours pour les nombreux blessés traités à l’hôpital temporaire. A donné un bel exemple de dévouement et de devoir professionnel. Cette citation à l’ordre de l’armée comporte l’attribution de la Croix de guerre 1914-1918 avec palme en 1915. En 1918, il est promu par Georges Clémenceau au grade de chevalier de la Légion d’Honneur à titre militaire de la réserve au service de santé de la 20e région comme chirurgien distingué, a rendu de grands services dans des circonstances difficiles.

William-Maurice Stern
Première Guerre mondiale

Il est décoré en 1917 officier de l’ordre de Nicham Iftikar. En 1917, il est promu médecin aide-major de 1ère classe, puis médecin major de 2e classe. Il rentre de la guerre mais son épouse, Yvonne Marguerite est décédée rapidement après le mariage et Wolf-Maurice épouse en secondes noces, en 1918, Fernande Paule Marguerite Vegrin fille d’Emile Vegrin, issu d’une très ancienne famille protestante de l’Ardèche et auteur dramatique. Dès la fin de la Grande guerre il retourne à Briey où il reprend la direction de l’hôpital des Mines. Avec Fernande ils ont trois enfants, François Robert Emile né en 1919, Olivier Jean Dominique né en 1922 et Denyse Hélène Micheline. En 1938, il a changé son prénom de Wolf-Maurice en William-Maurice et demande avec son épouse que leurs trois enfants, nés à Paris, portent à l’avenir le nom de Stern-Vegrin. Il est promu, à titre civil pour son engagement dans la santé, au rang d’officier de la Légion d’Honneur.

La Seconde Guerre mondiale

Lorsqu’éclate la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il est remobilisé mais maintenu dans ses fonctions à l’hôpital, il est décoré de la Croix du service volontaire. Il évacue les soldats blessés et le personnel médical lors de la débâcle de juin 1940 vers le sud de la France où il se réfugie. C’est à Béziers qu’il s’installe et il est affecté à la direction de l’hôpital complémentaire héliomarin d’armée de Sète (Hérault). Il milite dès les premières heures dans les mouvements de Résistance comme médecin-chirurgien et rejoins le groupe combat.

Fernande et William Stern

Dans le reportage « Les suppliques » réalisé par Jérôme Prieur, on évoque le courrier de l’épouse de William (Wolf) envoyé depuis Montpellier et adressé à Xavier Vallat, commissaire général aux questions juives. Elle explique que : « la loi du 3 octobre 1940 sur le statut des juifs a frappé le meilleur des hommes, le meilleur des maris, le meilleur des pères, un des meilleurs serviteurs de la France, le docteur William Stern, mon pauvre mari, empêché d’exercer ses fonctions de chirurgien parce que juif. Il suffit de le connaître, de le regarder, pour constater que, ni sa mentalité, no son physique n’ont rien d’un israélite. Anéanti par le coup qui le frappe et dont, pas plus que moi, il ne comprend le pourquoi, mon mari est comme un naufragé qui estime tout effort inutile ». Elle demande une exception pour son mari, mais sa supplique, comme de nombreuses autres, n’obtient pas de réponse. Selon son épouse, William se serait converti à la religion catholique en 1913.

La déportation

Le 19 mars 1944, il prend le train de Béziers pour se rendre à Montpellier, il est pris dans une rafle en gare de Montpellier par la Gestapo et interné à la prison militaire de la ville. Il est transféré le 4 avril 1944 vers le camp de Drancy et reçoit le matricule 18803. Le 13 avril 1944, il est déporté vers le camp d’extermination d’Auschwitz. Un témoin raconte l’avoir vu à Neuengamme en janvier 1945, mais vu son âge, 62 ans, il est fort probable que William Stern ait été sélectionné pour les chambres à gaz et exterminé dès son arrivée au camp d’Auschwitz le 18 avril 1944.

L’Académie de médecine demande sa libération dans les plus brefs délais au Ministre des Prisonniers et Déportés en date du 16 mai 1945 afin qu’il puisse reprendre son activité hospitalière à Briey en Meurthe-et-Moselle. L’enquête rapporte la déportation au 13 avril 1944 et son épouse déclare avoir reçu les dernières nouvelles de son époux le 7 avril 1944. C’est Denyse, sa fille, qui déclare en 1995, que sa mère avait reçu quelques lignes qu’il fit parvenir par une âme compatissante qui posta la lettre à Paris à cette date.

William Stern

La difficile reconnaissance

Le 5 septembre 1956, la commission départementale lui refuse le titre de déporté résistant car cette dernière estime qu’il fut arrêté en raison de sa confession israélite et non pour des faits avérés de Résistance. En 1957, la même commission lui attribue le titre de déporté politique. Il obtient, en 2003, la mention Mort en Déportation. Après la guerre, l’hôpital de Briey a porté le nom du docteur Stern, puis en 1985, l’hôpital Stern, devenu un service pour personnes âgées devient une annexe du centre hospitalier. L’hôpital Stern a été fermé et un nouvel Ehpad a remplacé l’ancien hôpital Stern démoli en 2019 tout en reprenant le nom du médecin et une des rues de la ville du Val de Birey porte son nom. Une plaque commémorative à la Faculté de Médecine Paris-Descartes rappelle sa mémoire aux côtés de 898 autres déportés de la Faculté. Son nom figure sur le Mur des Noms du Mémorial de la Shoah.

Mort pour la France

Le 9 mars 2022, vu ma demande du 29 janvier 2021, vu les articles L.2, L.511-11 et suivants, L.612-8, R.511-4 et suivant et R.612-11 du Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre et vu les circonstances du décès, la Directrice Générale de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre a décidé d’attribuer la mention « MORT POUR LA France » à Monsieur William STERN né le 21 janvier 1882 à Botosani (Roumanie) et assassiné le 18 avril 1944 à Auschwitz en Pologne.

Décision MPF 9.3.2022

Christophe WOEHRLE 15.3.2022 ©

Sources : DAVCC – Carol Lancu – Est Républicain – AD Seine – Archives Nationales – Archives – Les Suppliques