Devoir de mémoire

Les prisonniers de guerre de la Seconde Guerre Mondiale et le devoir de mémoire

Travailleurs forcés, prisonniers de guerre, déportés … quelques définitions

Lors de la Seconde Guerre Mondiale, des millions de personnes furent déplacées vers l’Allemagne pour y soutenir l’économie de guerre national-socialiste. Alors que le conflit s’étend, d’autres nationalités de déplacés arrivent dans le pays. D’abord les polonais, suivis des français et des belges, puis des russes, etc. Les travaux allemands sur le sujet ont choisi de rassembler toutes les catégories de travailleurs venus en Allemagne sous la dénomination de « Zwangsarbeiter », travailleurs de force. Lorsqu’en 1985 Ulrich Herbert écrivait son livre sur l’emploi d’étrangers dans l’économie de guerre allemande, il avait évité d’utiliser ce terme lui préférant celui de travailleur étranger.[1] En France, le terme de travailleur forcé ou de déporté du travail a conduit, ces dernières décennies, à des conflits entre les catégories de personnes contraintes au travail en Allemagne nazie. Le plus grand problème portant sur l’utilisation du terme déporté. Pour simplifier la compréhension, sans entrer dans les détails, on pourrait classer la main d’œuvre française envoyée en Allemagne en quatre catégories principales. La première étant formée par les prisonniers de guerre, la seconde les volontaires, la troisième les déportés et dans la dernière catégorie nous trouvons les requis appelés « STO ». Occupons-nous d’abord du cas des déportés, sur lequel il n’y a pas ou peu de polémiques. Dans cette catégorie on compte toutes les personnes déplacées de force vers l’Allemagne pour des raisons raciales, politiques, morales et qui furent jugés « indésirables » par le gouvernement de Vichy. Non seulement, ils furent contraints au travail, mais leur conditions de détentions furent effroyables. Une autre catégorie qui ne fait pas de vagues, concerne les volontaires. Bien que dans certains cas, la question puisse se poser. Certains volontaires affirment que leur départ pour l’Allemagne était inévitable, ils affirmaient que la situation financière et économique de la France, après l’occupation allemande, était si mauvaise qu’ils n’avaient aucun autre choix que d’aller gagner de l’argent en Allemagne. D’autres prétendent que la propagande efficace des allemands avait fini de les persuader de partir. Toutefois, cette catégorie n’a jamais été reconnue comme faisant partie des travailleurs forcés et ne fut jamais dédommagée. La troisième catégorie, comme son nom l’indique ne laisse pas planer le doute sur la contrainte qui leur avait été imposée, les Requis ou ceux du « Service du Travail Obligatoire » sont les seuls reconnus comme tels. Dès 1943, alors que l’Allemagne réclame des centaine de milliers de travailleurs au gouvernement de Vichy, Pierre Laval, premier ministre et collaborateur, trouve la solution pour compenser le manque de volontaires. Il appelle les classes 1940, 1941 et 1942 pour le Service Militaire, mais comme la France n’a plus d’armée, ils feront leur service en travaillant pour l’Allemagne et assurer ainsi la victoire de cette dernière : « […] Pour construire cette Europe, l’Allemagne est en train de livrer des combats gigantesques. Elle doit, avec d’autres, consentir d’immenses sacrifices. Et elle ne ménage pas le sang de sa jeunesse. Pour la jeter dans la bataille, elle va la chercher dans les usines et aux champs. Je souhaite la victoire de l’Allemagne, parce que, sans elle, le bolchevisme, demain, s’installerait partout. »[2]

S’il ne fait aucun doute quant au travail contraint qu’ils ont dû livrer, une autre polémique a surgi récemment concernant leur dénomination de Déportés du travail. En effet, les déportés s’insurgèrent contre cette utilisation et en saisir le Conseil d’État qui, en 2008, publia un décret interdisant aux STO d’utiliser le terme de déportés et d’utiliser celui de « victimes du travail forcé en Allemagne nazie », mettant un terme à la polémique.[3] Puis, en dernier lieu, les prisonniers de guerre. Ils ne furent jamais reconnus en France ni comme déportés, ni contraints au travail. Il y a des raisons à cela que nous n’avons pas besoin de développer ici en totalité pour une meilleure compréhension. La raison principale vient du fait que la France et l’Allemagne sont signataires en 1929 de la Convention de Genève. Dans cette Convention, les pays se sont intéressés au sort des prisonniers de guerre, afin d’éviter des dérives qu’ils ont connus lors de la Grande Guerre. Pour notre thème du travail nous nous intéresserons surtout à l’article 27 de cette Convention qui stipule :

« Les belligérants pourront employer comme travailleurs les prisonniers de guerre valides, selon leur grade et leurs aptitudes, à l’exception des officiers et assimilés. »[4] On comprend mieux que le terme de travailleur forcé ne leur soit applicable dans ces conditions. Les prisonniers de guerre russes, dont le pays n’a pas signé la Convention, n’étaient pas protégés par cette dernière. A savoir si l’Allemagne a respecté cette Convention peut se mesurer au nombre de victimes parmi les prisonniers de guerre. 51 000 prisonniers de guerre français, environ, sont morts en captivité, soit un pourcentage de 2.5% contre 3 300 000 prisonniers de guerre russes décédés en captivité, soit 57% de la totalité.[5] Les russes ne furent pas seulement contraints au travail, ils ont été exterminés par le travail, ce qui ne fut pas le cas des prisonniers de guerre français. Après ces quelques notions essentielles, revenons à la culture de la mémoire

La culture de la mémoire en France, appelé aussi devoir de mémoire.

Dès que l’on parle de mémoire on pense au passé et à l’histoire. Chaque individu se forge sa propre mémoire à partir des évènements importants qui ont marqué sa vie. Un État et les hommes qui le constituent, construisent leur mémoire à partir de faits historiques collectifs marquants. La période nationale-socialiste reste un sujet délicat dans la mémoire collective allemande mais le temps du silence semble être révolu. Toutefois, que ce soit en Allemagne ou dans d’autres États durement touchés par la guerre, l’holocauste reste le point culminant dans la mémoire collective. Le devoir de mémoire, par rapport aux conflits du 20e siècle est très fort en France et l’État accorde une importance particulière à ce devoir. Deux jours fériés concernant directement les deux guerres mondiales sont présentes dans le calendrier des français. Le 8 mai on fête la victoire des alliés sur l’Allemagne nazie et la fin de la Seconde Guerre Mondiale et le 11 novembre, la fin de la Première. Le 8 mai, dans chaque commune a lieu une commémoration où, jeunes et plus âgés, se retrouvent au monument aux morts pour y écouter un discours pacifiste, des poèmes lus par les enfants des écoles, pour y voir un détachement militaire et y entendre la fanfare sonner le « Aux morts » et jouer une marche militaire. Officiellement créée en 1953, le 8 mai fut, au nom de l’amitié franco-allemande, remis en question en 1975, par Valéry Giscard d’Estaing. Après une violente opposition, le jour férié fut réinstauré en 1981 et y est resté jusqu’à nos jours. Le 11 novembre, à nouveau, les gens se rassemblent au monument aux morts et honorent les vétérans. Il y a, depuis quelques années, une polémique concernant ce jour férié. En effet, certains sont d’avis que cette commémoration n’a plus de sens car il n’y a plus de « poilus » vivant. Rappelons que le 12 mars 2008, le dernier poilu, Lazare Ponticelli est décédé à l’âge de 110 ans. Ironie du sort, dans un pays où le Front National rassemble tant de voix lors des élections, Lazare Ponticelli, le héros de la Première Guerre Mondiale, le Doyen de tous les français, était d’origine italienne.[6] Depuis 2012, l’État a mis définitivement un terme à toute remise en question en confirmant le 11 novembre comme le jour de commémoration de toutes les victimes de toutes les guerres, dont les plus récentes comme l’Afghanistan ou le Mali. Depuis le 28 février 2012, le Parlement français a fait du 11 novembre une obligation de mémoire. Comme indiqué sur la page gouvernementale : « Elles sont [les cérémonies nationales] une expression du devoir de mémoire envers ceux qui ont mérité la reconnaissance de la Nation. »[7] Il y a neuf autres journées de commémorations, presque inconnues du grand public, instaurées par une décision législative. Le 19 mars, Journée nationale du souvenir et de recueillement en mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d’Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. Le dernier dimanche d’avril, Journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la Déportation. Le second dimanche de mai, Fête nationale de Jeanne d’Arc, fête du patriotisme. Le 27 mai, Journée nationale de la Résistance. Le 8 juin, Journée nationale d’hommage aux «morts pour la France» en Indochine. Le 18 juin, Journée nationale commémorative de l’appel historique du général de Gaulle à refuser la défaite et à poursuivre le combat contre l’ennemi. Le 16 juillet, si c’est un dimanche, ou le dimanche qui suit, Journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l’État français et d’hommage aux «Justes» de France. Le 25 septembre, Journée nationale d’hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives. Le 5 décembre, Journée nationale d’hommage aux «morts pour la France» pendant la guerre d’Algérie et les combats du Maroc et de la Tunisie. S’y ajoutent la cérémonie d’hommage à Jean Moulin, au Panthéon à Paris, le 17 juin. La politique de mémoire des conflits contemporains, dont le ministère en charge des anciens combattants est aujourd’hui le dépositaire, s’attache à conserver et à transmettre aux jeunes générations le souvenir des combattants et des principes qui les animaient, ainsi que celui des actions, des combats menés au nom des valeurs de la République, valeurs qui participent au sentiment d’appartenance à la Nation.[8]

Quelques chiffres

On estime à 13 millions le nombre de personnes, toutes catégories et toutes origines confondues, qui ont été déplacées vers l’Allemagne. Les français représentaient la troisième nation la plus représentée avec la Russie et la Pologne. Dans la catégorie de main d’œuvre étrangère, ils occupaient, avec 2 millions de prisonniers de guerre[9], la seconde place juste derrière la Russie. En 1941, ils étaient encore 1 285 000.[10]

Les premiers prisonniers de guerre arrivent à Bamberg le 2 juillet 1940. Ils étaient placés sous l’autorité du camp de prisonniers (Stalag) XIII C de Hammelburg. Le premier transport comptait 62 prisonniers qui furent tous affectés au service de voiries de la ville et leur détachement de travail portait le numéro 1446. C’est en une ancienne brasserie, sur une colline de la ville, qu’ils furent casernés.[11]

Durant toute la guerre, ce sont environ 1 000 prisonniers qui séjourneront à Bamberg, plus ou moins longtemps et y travaillèrent. Les travailleurs civils étaient environ 650.[12] A Bamberg, 1 habitant sur 60 était alors français.[13] Ils travaillaient non seulement dans les grandes entreprises que comptait la ville, Robert Bosch ou la filature, mais aussi dans les petites entreprises comme les boulangeries, les cordonneries, les marchands de charbon, pour les chemins de fer, l’équarrissage. Dans presque toutes les entreprises se trouvait un travailleur étranger. Plus de 200 entreprises à Bamberg utilisaient de la main d’œuvre française. [14]

Au cimetière de Bamberg on trouvait 6 tombes françaises, cinq de prisonniers de guerre et une d’un volontaire.[15] Le pourcentage de français décédés dans cette ville se situe aux alentours de 0.5% loin du pourcentage national, qui se situe aux alentours de 4%. (1 200 000 PG dont 50 000 ont trouvé la mort en captivité). Sur les six décès, trois d’entre eux sont décédés à l’hôpital et étaient employés aux alentours de la ville de Bamberg, les autres sont morts de tuberculose, le second a été abattu alors qu’il tentait de fuir et le dernier fut abattu par des enfants qui jouaient au tir au pigeon (cf. Rapiteau sur ce site).

Devoir de mémoire et français décédés en captivité dans la ville de Bamberg

On se demande instantanément ce qu’il se passait lorsqu’un prisonnier de guerre français mourait, pendant la période nationale-socialiste à Bamberg.

La première constatation se rapporte aux deux prisonniers de guerre abattus dans la ville et il faut se rendre à l’évidence qu’il n’y eut aucune suite juridique à ces deux affaires, les meurtriers n’étant pas inquiétés. Une autre constatation concerne les prisonniers de guerre russes, dont nous avons vu précédemment les conditions déplorables de détention, à Bamberg, toutefois, ils avaient droit à des tombes individuelles et leur nombre total avait atteint le chiffre relativement bas de 21.[16]

Les 6 prisonniers de guerre français, tout comme les 21 russes furent portés en terre au cimetière de la ville, au carré d’honneur des militaires. Les enterrements eurent lieu en pleine journée et une délégation militaire allemande rendait les honneurs militaires aux défunts. Une couronne de fleur était déposée sur la tombe où trônait une croix avec le nom et le prénom du soldat, sa date de décès et le drapeau de son pays. Dans ce carré d’honneur reposaient déjà les soldats allemands tombés lors de la Grande Guerre, les français et les russes furent enterrés à leurs côtés.[17] Sur les images des tombes envoyées aux familles des victimes on constate qu’elles étaient entretenues et fleuries par d’autres prisonniers de guerre ou des travailleurs civils, parfois même par des allemands. Les tombes françaises restèrent dans le cimetière de Bamberg jusqu’en 1949. Cette année-là, on exhuma les corps pour les ramener en France.[18]

Après 1949 il ne restait plus aucune trace des prisonniers de guerre français dans la ville. Leur présence et leur sort tomba dans l’oubli le plus total. En 2012, dans une ruelle de Bamberg, sur le lieu même du meurtre du soldat français abattu lors d’une tentative d’évasion fut posée une pierre du souvenir. Un pavé, sur lequel on fixe une plaque de laiton et qu’on intègre dans la chaussée, sert à honorer la mémoire des victimes juives du national-socialisme. Pour la première fois, dans la ville de Bamberg, on posa donc ce type de pierre pour une victime non-juive et ainsi, Bamberg peut à nouveau se souvenir de ce soldat français. Un autre français, celui abattu par un enfant qui jouait au tir aux pigeons, verra son pavé posé cette année, le 29 novembre. (cf. Rapiteau) Actuellement, ces commémorations sont le meilleur moyen pour éviter que leur mémoire ne sombre totalement dans l’oubli.

En France, nous avons une culture de la mémoire bien plus forte, mais les prisonniers de guerre n’ont jamais vraiment trouvé leur place dans cette culture mémorielle, pourquoi ?

Les « oubliés » de la Seconde Guerre

L’holocauste a frappé si durement les esprits qu’il appartient aujourd’hui à la mémoire collective mondiale. Les prisonniers de guerre sont exclus de cette mémoire collective, en France également. Il y a plusieurs raisons à cela. La première, c’est que la « Grande Armée » a connu en quelques jours, entre mai et juin 1940, la débâcle et fut terrassée par l’armée allemande. Pour les soldats ce fut un choc émotionnel très fort, eux qui avaient l’image de leurs pères, ces héros de la Grande Guerre et qui avaient su résister à l’ennemi. La jeune génération, en peu de temps, avait été balayée. On a beaucoup écrit sur la débâcle, parfois très rapidement. Les français avaient besoin d’explications sur la débâcle, comment la France avait-elle pu être battue de la sorte, qui en était responsable, que c’était-il réellement passé ? Dans « l’Étrange défaite », écrite en 1940 par l’historien et officier français Marc Bloch, ce dernier explique que l’armée française était sclérotique. Il était d’avis que le gouvernement français, devant la menace communiste, avait vu en Hitler un ennemi moins dangereux et pensait s’en accommoder. Bien que les soldats, dans la majorité des études avaient été mis hors de cause dans la défaite, ils continuaient à porter la responsabilité morale. 1945 était l’année de la Résistance et de l’héroïsme, les prisonniers de guerre qui n’avaient pu participer à la libération de leur pays, n’avaient pas le droit de citer dans la mémoire collective. Les prisonniers de guerre, eux-mêmes ont contribué à leur éviction. Dès leur retour, ils voulaient oublier et surtout, se faire oublier. Qu’avaient-ils subi par rapport aux déportés ? Qu’avaient-ils fait par rapport aux résistants ? Pourquoi ont-ils accepté de travailler pour l’ennemi ? Pourquoi n’ont-ils pas tenté de s’évader ? Toutes ces questions qui faisaient surface et auxquelles ils ne voulaient pas répondre, persuadés qu’ils étaient que personne ne pouvait comprendre, c’est le début du silence dans lequel ils vont se murer pour des décennies. En optant pour cette attitude, ils espéraient que l’oubli allait s’instaurer, ce qui avait l’air de bien fonctionner. Pour une majorité de prisonniers de guerre français, leur situation en Allemagne n’était pas enviable mais pas insurmontable, beaucoup avaient accepté leur sort et ne voulaient pas mettre leur vie en danger et se résignèrent dans l’espoir d’un retour rapide dans leurs foyers. Ils durent se rendre à l’évidence, que dans la hiérarchie raciale de l’Allemagne nazie, ils n’occupaient pas la plus mauvaise place et constataient les conditions des russes et des polonais. Les camps de redressement de Koberczyn ou Rawa-Ruska avaient eu raison des derniers récalcitrants.

Un exemple à Bamberg

Au milieu de l’année 1940 arrive à Bamberg un prisonnier de guerre français du nom de Rapiteau. Marié et père d’une fillette née en 1939, il avait été fait prisonnier dans les Vosges en juin 1940 et transféré vers l’Allemagne, comme 2 millions de ses camarades. Il fut mis au service des chemins de fer du Reich et fut mis au travail, comme le prévoyait la Convention de Genève. En dehors de l’ancienne brasserie sur les hauteurs de Bamberg qui servait de casernement aux prisonniers français et qu’ils rejoignaient sous surveillance après leur journée de travail, il y avait dans la ville de Bamberg un deuxième lieu de détention. Ce détachement de travail portait le numéro 4652. Sur ce lieu de détention la Croix Rouge Internationale écrit un rapport en 1942 :

« Le casernement se trouve au cœur de la gare de Bamberg. C’est une baraque en bois qui accueille les prisonniers de guerre français qui travaillent dans la gare ou sur les voies. Le détachement est composé de 24 hommes dont 9 marins. Les conditions de logement peuvent être considérées comme bonnes ».[19]

Une année plus tard, en 1941, il n’y avait encore eu aucune mesure d’allègement concernant la surveillance des prisonniers de guerre. Pourtant il semble que les français détenus dans l’enceinte de la gare bénéficiaient d’un régime particulier. En effet, le 19 juillet 1941, le PG Rapiteau se rend seul, tôt le matin, à son lieu de travail. En chemin, il rencontre deux jeunes enfants qui jouent avec une carabine à air comprimé de type « Tesching » et tirent sur des pigeons. Ils les dépassent et s’effondre, touché par une balle, quelques heures plus tard il décède à l’hôpital de la ville des suites d’une hémorragie interne. Le rapport de la Croix Rouge dit :

« Le prisonnier de guerre a connu une fin tragique et fut victime d’un accident terriblement malheureux. En se rendant sur son lieu de travail, il fut touché par une balle perdue, tirée par un enfant qui jouait au tir aux pigeons. La balle le pénétra par l’arrière à une hauteur de 1.20m, blessa visiblement le poumon et ressorti par l’avant. L’enquête préliminaire est en cours. » [20]

Dans le seul journal de la ville pas de traces de l’évènement et les meurtriers ne furent pas poursuivis. Monsieur Rapiteau fut porté en terre au carré militaire et sa tombe entretenue par ses camarades. Cet évènement est passé inaperçu auprès de la population et fut rapidement oublié.

Qu’en était-il dans la commune d’origine ? Il avait laissé derrière lui une veuve et une jeune fille. Dans une lettre de septembre 1941 adressée à l’Ambassadeur Scapini, chargé des prisonniers de guerre en Allemagne, Madame Rapiteau demande des explications sur les circonstances du décès de son époux. De plus elle veut connaître l’endroit exact de sa tombe et dans quelle mesure elle pourrait venir s’y recueillir dans les plus brefs délais. D’autre part, elle se pose la question du rapatriement du corps et dans quelle mesure les frais seront pris en charge, si toutefois un rapatriement était envisageable.[21] La missive est restée sans réponses. Jusqu’au retour du corps en 1949, aucun moyen mémoriel n’avait été mis en place dans la commune ou vivait Ferdinand Rapiteau. Pas de tombe, pas de monument, pas de plaque. Lorsque le corps est rapatrié 8 ans plus tard on organisa une commémoration dans le village. Le maire de l’époque prononça alors un discours :

« Pas de haine ni vengeance, mais personne n’a le droit d’oublier. Les anciens combattants se souviennent, lorsque l’un d’entre eux tombait et rendait son dernier souffle, il voulait toujours que l’on raconte chez lui ce qui s’était réellement passé. Rapiteau ne verra plus sa maison, sa famille, son village. Il ne voulait surtout pas reposer en terre ennemie. Il est tombé pour la France, pour la liberté. Son retour dans notre cimetière doit nous permettre de ne pas l’oublier et dans nos cœurs, il continuera à vivre. Nous pourrons nous incliner et fleurir sa tombe, en même temps nous pourrons méditer sur les grandes erreurs de notre humanité »[22]

On apposa une plaque commémorative sur le monument aux morts avec l’inscription « Rapiteau Fernand, décédé en captivité, 1939 ~ 1940 ». Rappelons que Monsieur Rapiteau fut la seule victime que le village eut à déplorer lors de la Seconde Guerre mondiale. Un témoin nous raconte l’enterrement : « Les gens étaient venus en masse. Notre cimetière ne pouvait tous les accueillir, il était trop petit, les gens marchaient sur les tombes, montaient sur le mur d’enceinte. Nous n’avions jamais vu autant de monde et cela n’arriva d’ailleurs plus jamais. »[23] De nos jours, la seule trace encore visible de l’évènement reste la plaque sur le monument aux morts, et deux fois par an, lors des commémorations nationales on se souvient de Rapiteau.

Quelles étaient les conditions dans d’autres villes allemandes ?

Il est difficile de tirer des généralités sur la captivité des français pendant la Seconde Guerre à partir de cas isolés. Les conditions de vie d’un PG de Bamberg n’étaient, avec certitude, pas celles d’un PG de Nuremberg ou de Ratisbonne. La ville de Bamberg fut épargnée par les bombardements alors que la ville de Nuremberg, entre autres, fut rasée. Les usines d’armement étaient des cibles régulières sans considération des PG qui s’y trouvaient. Comme le disait un STO employé aux alentours de Bamberg et qui arrivait de Nuremberg, la vie à Bamberg y était plutôt tranquille.[24] La vie d’un PG en usine ne ressemblait en rien à celle d’un PG qui se trouvait en ferme. On pourrait multiplier les exemples. On trouve par contre des généralités. Dans l’exemple du traitement des prisonniers de guerre morts en captivité, dans tout le Reich les règles étaient les mêmes laissant penser que la façon dont devait se comporter les autorités locales, face à un tel évènement, avait été décidé bien avant en haut lieu

Le devoir de mémoire dans le programme national

Pour finir il convient de porter un regard sur le programme de l’éducation nationale concernant la Seconde Guerre mondiale et prendre la mesure des décisions de l’État en matière de devoir de mémoire. A partir de l’âge de 10 ans, nos têtes blondes doivent se familiariser avec les conflits du 20e siècle en Europe, aborder des notions telles que le communisme, le fascisme et le nazisme qui ont conduit aux génocides et aux goulags. La question de l’extermination des Juifs est centrale.

Au collège, les élèves devront aborder les questions militaires. Comment fut menée la guerre, qu’était la résistance ou la collaboration ? Quelles ont été les conséquences de la guerre sur la politique, l’économie ou la morale ? La solution finale reste le point central de l’étude. Les enseignants ont la possibilité d’élargir le champ des recherches en intégrant les thèmes suivants : Guerre totale et économie de guerre – Les droits de l’homme – Vichy et la Résistance – La vie des français pendant la guerre – La position de la France en Europe et dans le monde – Le monde en 1945 et la création de l’ONU[25]

Bien que la question du travail obligatoire ou de la captivité puisse être intégrée à ces thèmes annexes par les enseignants, on constate que ces thèmes ne sont pas proposés directement.

La dernière étude complète sur le thème de la captivité et qui connut une diffusion nationale fut écrite en France en 1987.[26] En Allemagne les études d’Elisabeth Bories-Sawala[27] et Mark Spoerer[28] sont les dernières études des dernières décennies sur le sujet. Au niveau régional on peut citer l’étude faite sur la Franconie par Herbert May.[29] Dans l’introduction on peut lire :

« Main d’œuvre étrangère, travailleurs contraints, travailleurs étrangers. Compréhension.

Dans toutes les études publiées sur le sujet de l’utilisation de main d’œuvre étrangère dans l’économie nationale-socialiste on se pose la question des définitions. Comment définir ces étrangers qui ont été amenés à travailler pour le Reich. Ulrich Herbert nous a montré la voie, il plaidait pour une appellation de « main d’œuvre étrangère » qui permettait d’englober les prisonniers de guerre, alors que le terme travailleur contraint ne correspondait pas à toutes les catégories. Tout ça nous montre à quel point la question est difficile ce pourquoi nous ne nous attarderons pas sur la terminologie dans notre étude. »[30]

Les derniers prisonniers de guerre français de la Seconde Guerre mondiale sont aujourd’hui très âgés. La plupart nous ont déjà quitté et n’ont presque pas laissé de traces de leur captivité. Une vie de silence et une vie pour oublier. Il n’y a pas qu’en Allemagne que certains sujets sont difficiles à aborder, les « perdants » de 1940 en savent quelque chose. Après le décès d’un ancien prisonnier de guerre, de nombreuses questions restent ouvertes dans les familles, le silence du père sur sa captivité la recouvre d’un mystère, et les questions qui n’ont pas de réponses laissent libre court à toutes les suppositions. Le silence est parfois si lourd que dans certaines familles on apprend que très tard que le père ou le grand-père avait été un prisonnier de guerre. Le devoir de mémoire doit-il respecter ce silence ou est-il temps de lever le voile sur cet évènement ? Beaucoup de prisonniers, à l’aube de leur vie, ont voulu partager leur expérience. Ils ne voulaient pas que tout s’oublie, ils voulaient que l’on sache qu’ils avaient souffert et que parfois, le silence est une douleur encore bien plus profonde. L’histoire ne peut plus les occulter. Eux aussi ont droit à la reconnaissance de la Nation, eux aussi ont leur place dans notre histoire. Rompre le silence, relater avec justesse leur destins, à partir de l’individualité comprendre ce que fut la captivité de milliers de jeunes français.

Christophe Woehrle 2014

 

[1] Herbert, Ulrich – Fremdarbeiter, Politik und Praxis des « Ausländer-Einsatzes » in der Kriegswirtschaft des Dritten Reiches – Verlag Dietz, Berlin-Bonn, 1985 – 489 pages

[2] Pierre Laval – Rede vom 22. Juni 1942 – In: Bories-Sawala, Helga – Dans la gueule du loup : les Français requis du travail en Allemagne – Presses Universitaires du Septentrion, Villeneuve d’Asq, 2010 – page 53

[3] http://www.requis-deportes-sto.com/index.php/histoire/aujourd-hui/apres-57-ans-de-combat 22/09/2014 14:02

[4] Croix Rouge Internationale – Convention relative au traitement des prisonniers de guerre. Genève, 27 juillet 1929 – DIH-CG-1929-2

[5] American Jewish Committee – Harry Schneiderman and Julius B. Maller, eds. [archive] – American Jewish Year Book, Vol. 48 (1946-1947) – Press of Jewish Publication Society of America, Philadelphia – 1946, page 599.

[6] Nicolas Offenstadt – « Le pays a un héros : le dernier poilu » – In : L’Histoire, no 320, mai 2007, p. 25-26

[7]  LOI n° 2012-273 du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France

[8] Ministère de la Défense – SGA/DMPA – Les cérémonies commémoratives – Brochure, Sept. 2013 – 4 pages

[9] 800 000 PG furent libérés et renvoyés en France pour diverses raisons : âgé avancé, vétérans Grande Guerre, inaptes, etc.

[10] SPOERER, Mark – Zwangsarbeit unter dem Hakenkreuz. Ausländische Zivilarbeiter, Kriegsgefangene und Häftlinge im Deutschen Reich und im besetzten Europa 1939-1945 – Stuttgart/München, DVA, 2001. – p.221

[11] Archives communales de Bamberg

[12] Division des Archives des Victimes des Conflits Contemporains, Caen (BAVCC)

[13] Chiffres du recensement de Bamberg en 1939

[14] Archives communales de Bamberg et Bureau d’Aide aux Victimes des Conflits Contemporain, Caen

[15] 3043 D QM Graves Registration Company – US Army – 27. Mai 1945

[16] Ibidem

[17] 3043 D QM Graves Registration Company – US Army – 27. Mai 1945

[18] Service des Recherches et Sépultures de Zone Americaine – 1949

[19] Croix Rouge Internationale – Rapport de visite du 27 janvier 1942

[20] Croix Rouge Allemande – Rapport du 12 novembre 1941

[21] Archives de la famille Lambert – courrier de septembre 1941

[22] Coux – Mon village de Haute Saintonge –Mairie de Coux, 2004

[23] Interview Monsieur Elias – Coux 14 août 2014

[24] Interview Monsieur Ploquin – La Rochelle, juillet 2013

[25] Académie de Poitiers – Programme d’histoire

[26] Durand, Yves – « La vie quotidienne des prisonniers de guerre dans les Stalags, les Oflags et les Kommandos 1939-1945 » – Hachette, 1987

[27] Bories-Sawala, Helga-Elisabeth – Franzosen im « Reichseinsatz ». Deportation, Zwangsarbeit, Alltag. Erfahrungen und Erinnerungen von Kriegsgefangenen und Zivilarbeitern -Thèse de doctorat, Université de Brème – 1995

[28] Spoerer, Mark – Zwangsarbeit unter dem Hakenkreuz, Ausländische Zivilarbeiter, Kriegsgefangene und Häftlinge im Deutschen Reich und im besetzten Europa 1939-1945 – Stuttgart/München, 2001

[29] Herbert May (Hg.): Zwangsarbeit im ländlichen Franken 1939 – 1945. Bad Windsheim 2008. 333 pages

[30] Ibidem

2 réponses à Devoir de mémoire

  1. bulfay dit :

    une remarque sur une expressio
    vousparlez d armistice pour le 8 mai. il s agit d une capitultion sans condition . cette erreur est largement reproduite dans les medias cependant capitulation et armistice n ont pas les meme definition ni resultats.

    • Christophe Woehrle dit :

      Vous avez parfaitement raison, je vais corriger, parfois il arrive que nous nous laissions emporter par l’élan et chaque mot est important, ce pourquoi ils sont différents. On parlera donc de victoire des alliés sur l’Allemagne nazie.

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